Pandémie, amour et cannibalisme

Est-ce que ce monde est sérieux ? La question semble turlupiner l’anthropologue et romancier Éric Chauvier, tout particulièrement dans son nouvel ouvrage, Plexiglas mon amour chez Allia, qui voit son alter ego Éric tiraillé entre deux paranoïas ultracontemporaines, celle du covid et celle de la fin des temps. Extraits et questions.

« Elle a rencontré par hasard Serge Fauconnier, un de mes anciens collègues, à l’hypermarché de notre zone pavillonnaire. Et cet abruti (je rajoute) a cru bon de lui parler d’un certain vernissage, qui s’est tenu dans les locaux d’une galerie d’art. Elle ironise. Elle imagine que nous nous sommes bien amusés, oui, bien amusés. Mais maintenant, quelle garantie a-t-elle que je n’ai pas contracté le virus pendant la sauterie ? Je m’insurge. Ce n’était pas une sauterie ! Je voudrais lui signifier ce que ce mot, qui m’a toujours intrigué, comporte d’approximation sémantique, mais je me tais. Sans un regard, elle range nerveusement ses masques chirurgicaux dans un sac en plastique aseptisé. Sauterie ou pas, ce rassemblement avait toutes les apparences d’un foyer pandémique. Je tente de nouveau de me défendre : c’était juste un vernissage pour une exposition, pas une sauterie. Nous avons, de plus, adopté les gestes de prévention élémentaires, les risques sont donc très faibles. Elle me regarde avec cet air soupçonneux qui fait que tout à coup je ne la reconnais plus. Les risques sont faibles, oui, mais puis-je l’assurer qu’ils sont nuls ? Elle continue de ranger nerveusement ses masques. Et puis, pourquoi ne lui ai-je rien dit ? Pourquoi est-ce qu’elle apprend cela au supermarché du coin par l’intermédiaire de Serge Fauconnier ? Hein ? Est-ce que je peux répondre à ça ? Est-ce que je peux l’assurer que je ne vais pas la contaminer ? Penaud, vexé, incrédule, je concède que je ne le peux effectivement pas. Elle se radoucit aussitôt : dans ce cas, il faut que nous prenions des mesures (mon amour). Elle a déjà réfléchi. C’est une nouvelle application gouvernementale. Elle a l’air très bien. Il faut en tout cas que je comprenne qu’elle ne veut que mon bien. Et puis il faut que je pense à elle (mon amour), à ses revenus, parce qu’un chômage serait catastrophique pour elle et pour nous. En attendant, il est préférable que nous fassions chambre à part. Je n’aurai qu’à prendre la chambre d’amis. Elle préférerait aussi que je porte un masque dans la maison. Elle recule de quelques mètres, m’envoie un baiser avec la…

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Auteur: lundimatin