Parole d'une lumière

Les images de nature prolifèrent aujourd’hui comme les algues vertes en Bretagne. Alors pour éviter un enfouissement sous les couches iconiques, les éléments reprennent la parole. Après le lieu et le livre, c’est ici la lumière qui demande audience. Il lui semble que le brûlant message de cet été n’a pas été bien saisi par les esprits d’Armorique.

J’aime devancer le lever de mon père – le soleil, et embellir d’abord les petits arbres chez mon frère le lieu. Je perce délicatement les feuilles jusqu’aux mousses pour les chatouiller, montrer les fascinants détails de la toile d’araignée. Une certaine faune s’active, une ribambelle de vies animales à chatoyer.

C’est l’aube, mon heure à moi. Mais elle passe vite, mon aube, trop vite, et il faut que je m’attèle à ma tâche journalière : éclairer toute la baie de Saint-Brieuc. D’Argoat en Armor, comme on dit dans le coin : des terres jusqu’à la mer. Je vais alors d’un arbre à l’autre pour prendre l’amplitude nécessaire, me hisser bien plus haut.

Mais ce matin – il faut le dire, je n’ai pu m’élever. J’avais beau essayer, je me diffusais droit devant. J’allais au ras des mottes sans pouvoir décoller. C’était comme rater mon élan à cause d’une planche pourrie. Que se passait-il donc dans la vallée du Gouët – la rivière ?

Ce n’est qu’à la troisième tentative que j’ai compris : il n’y avait plus d’arbres là où je prends d’habitude mon envol. Au lieu des grands chênes et des bouleaux, il y avait un vide. Un vrai champ de ruines sylvestres : les hommes avaient fait une immense coupe rase, et laissé le lieu à sa souffrance.

Comment en étaient-ils arrivés à faire une chose pareille ? Ils avaient quand même bien vu que ça n’allait pas, que ce n’était pas normal tout ça. En cette brûle-saison, en cette pleine-fournaise, ils avaient bien vu que l’ombre est précieuse.

Sans elle, impossible de respirer, impossible de s’apaiser ! Ni même de se réjouir de ma beauté : quand je perce les feuillages pour pointiller le sol en couleur, c’est bien l’ombre qui écrit ma joie de vivre en étranges motifs sur la terre, non ?

Mais alors, que cherchaient-ils, à martyriser la forêt ? Voulaient-ils me laisser seule à jamais, sans les arbres pour me tamiser ? Voulaient-ils vivre en étant trop visibles, sans plus aucun recoin pour s’isoler ? Je ne savais vraiment pas quoi penser, je cherchais sans trouver.

Il a pourtant bien fallu que je m’arrache à ma torpeur, et à cet endroit…

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Auteur: lundimatin