Pas de lait, pas d'amour

Asia Bazdyrieva est historienne de l’art et ukrainienne. Dans ce brillant article, elle retrace et historicise les contours de la guerre en cours. L’Ukraine comme territoire-ressource doublement colonisé :

Qui récoltera le ‘Spargel’ allemand ?

En mai 2021, un groupe de parlementaires et de chefs d’entreprise ukrainiens publiait une lettre ouverte : « The Time to Stop Nord Stream 2 is Now » [« Il est temps d’arrêter Nord Stream 2 », ndT]. Leur déclaration explicitait les menaces qui pèsent sur l’existence de l’Ukraine du fait de l’instrumentalisation de l’énergie à des fins stratégiques. L’intervention militaire russe entrait dans sa huitième année. L’invasion en cours avait débuté avec l’annexion de la Crimée en 2014, s’était poursuivie par des manœuvres militaires dans le Donbass. Malgré de nombreuses preuves de la présence russe et de ses crimes de guerre, comme le Vol 17 de Malaysia Airlines abattu au-dessus de l’Ukraine orientale, la Fédération de Russie n’a jamais eu à répondre de ses actes. La lettre ouverte se voulait une réponse directe à la décision de l’administration Biden de lever les sanctions imposées par le Congrès à l’encontre de la société Nord Stream AG, enregistrée en Suisse et filiale de l’entreprise publique russe Gazprom, et de son PDG, Matthias Warnig, ancien officier de la Stasi et proche de Vladimir Poutine. À ce moment-là, Nord Stream 2 était achevé à 95 % et la Russie ne cessait de renforcer ses troupes le long de la frontière ukrainienne. Le message de la lettre était clair : son statut de pays de transit pour le gaz russe vers les pays européens était pour l’Ukraine sa seule garantie de sécurité. Dès lors que la Russie ne dépendrait plus de ces infrastructures, il n’y aurait plus aucun moyen d’arrêter l’escalade des tentatives coloniales incessantes de la Russie visant la destruction intégrale de l’Ukraine.

Écrivant ce texte en avril 2022, je pars de l’idée que mes lecteurs savent que c’est exactement ce qui s’est passé. S’ils ont eu le courage de ne pas détourner les yeux, ils ont été témoins, sur les écrans de leurs gadgets, de l’intensité et de l’ampleur de la destruction. J’écris ce texte en tant que sujet et témoin immédiat de cette guerre. Cette réalité rend l’élaboration de théories physiquement difficile, un travail pourtant plus que jamais nécessaire. Lorsque dans une semaine j’enverrai cet article à l’éditeur, l’invasion à grande échelle de l’Ukraine aura…

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Auteur: lundimatin