Pénétrer l'espace Jupiter et revenir sur Terre

L’exposition stéphanoise de l4bouche (Cindy Coutant et Estelle Benazet Heugenhauser) invite le public à prendre place dans un voyage à travers l’« espace Jupiter », selon l’expression forgée par la chercheuse féministe Zoë Sofia. C’est-à-dire, à faire un tour dans la galaxie sidérale et sidérante d’une domination masculiniste qui façonne les imaginaires, les outils et les désirs au détriment autant des corps féminins que des milieux terrestres.

Au carrefour du sémiotique, de l’érotique et de la technique, la domination de Jupiter pénètre les vivants, les objets et leurs systèmes de communication, tout en refusant de se laisser pénétrer. Comme l’affirme péremptoirement son essai « Extermining Fetuses » dont la traduction inspire cette initiative artistique, l’espace Jupiter constitue un « impensé » (unthinkable) qui doit être gardé à l’abri de tout réflexion critique pour continuer à se reproduire. C’est précisément en allant le dénicher dans un cortège de manifestations symptomatiques (des publicités industrielles, des extraits de films pop, de la théorie engagée, des lambeaux de réseaux sociaux…) que l4bouche nous conduit à pénétrer l’impénétrable Jupiter Space : arraché à son flottement abstrait et imperturbable, précipité pour l’occasion dans la galerie Les Limbes, il est possible de commencer à en conjurer l’inéluctable mécanisme mortifère. Jupiter, à la fois emblème antique et divinisé du Père (en Grèce) et destination futuriste de l’expansion extraterrestre dans la science-fiction : l’étendue éclectique des références culturelles analysées par Zoë Sofia n’est pas trahie par la mosaïque foisonnante d’éléments rassemblés et exposés par les deux artistes.
Au vide laissé au centre des pièces de l’exposition répondent les murs fourmillants d’une multiplicité de documents rangés dans des grilles géométriques qui donne aux surfaces verticales une allure d’interface où de nombreuses fenêtres auraient été ouvertes pendant une recherche. Le texte de Zoë Sofia – objet d’une résidence éditoriale aux Limbes – n’est pas directement montré, si on fait abstraction de ses énormes et irrévérentes illustrations (« analytic comics ») reproduites en grand format sur plusieurs parois. L’exposition concerne plutôt l’archipel d’éléments qui ont été réunis au cours de la traduction pour explorer, mettre à jour et étendre l’univers théorique esquissé par l’article en question. Et donner une chair…

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Auteur: lundimatin