Petit Manuel à l'usage des conspirant.es

Dans Le Moment Fraternité, publié en 2009, Régis Debray affirme la « viscérale parenté du conspiratif et du fraternel » (284). Et à la fin du Manifeste conspirationniste, publié en 2022, on peut lire : « La joie de conspirer est celle de la rencontre, de se découvrir des frères et des sœurs là même où l’on s’y attendait le moins » (377). Au principe de toute conspiration, il y a, semble-t-il, une fraternisation. Sans elle, sans fraternisation, les conspirateurs ne valent pas plus que l’insipide Comité des Possédés de Dostoïevski. Ce petit groupe terrorisé par Stavrogine et Verkhovenski, dont le seul trait d’union est le meurtre de l’étudiant Chatov. Meurtre qui, d’ailleurs, à peine consommé, accomplira au contraire sa dissolution définitive.

C’est pourquoi conspirer, avant tout autre chose, c’est fraterniser – déposer les armes, passer de l’autre côté, se reconnaître quelque chose de commun, bref : c’est se réconcilier, se rendre les uns les autres et à chacun, chacune, des frères, des sœurs. Pour reprendre un hapax du vocabulaire théologique d’Athanase : la force motrice de toute conspiration, c’est l’adelphopoïèse (adelphos, adelphè : frère, sœur ; poièse : fabrication, production). L’adelphopoïèse désigne l’ensemble du processus ou des techniques par lesquelles on se rend à même d’adopter quelqu’un en fraternité (Michel Dujarier, II, 48). Car il ne suffit pas d’avoir des principes pour conspirer, vivre et agir ensemble. Il ne suffit pas de décréter sa puissance ; il faut encore l’exercer. Un anonyme écrivait pendant la Révolution, vers 1792, dans un hommage à l’Être Suprême : « Guerre aux tyrans. Point de rois. Point d’inégalité. Fraternité dans tous les principes. Et vive la République. » (326, note 30). L’anonyme n’en appelle pas au « principe de fraternité » mais à la « fraternité dans tous les principes ». L’historien Marcel David commente : « si la fraternité n’est pas un principe, les principes, eux, ne sauraient se passer d’elle » (Fraternité et Révolution, 119). Sous la plume généralement modérée de Marcel David, la fraternité apparaît comme l’anarchie vivante qui sous-tend les principes.

Puisque l’année s’amorce sous le signe des conspirations (Hold-Up, Qanon) et l’appel à « se réapproprier l’art de conspirer » (Manifeste conspirationniste, 373), je veux exposer les quelques stratagèmes qui pourraient exercer l’aspect principiel ou affectif de cet « art »,…

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Auteur: lundimatin