Petite histoire des grands électeurs

Lucas Cranach l’Ancien. — « Friedrich der Weise, Johann der Beständige und Johann Friedrich der Großmütige, Kurfürsten von Sachsen » (Frédéric le Sage, Jean le Constant et Jean-Frédéric le Magnanime, grands électeurs de Saxe), après 1532.

«Grands électeurs ». Ce n’est pas un oxymore mais l’expression recèle une sorte de friction entre ce qui, sans être incompatible, n’est pas tout à fait compatible. Elle sonne un peu bizarrement parce que l’élection est tellement associée à la démocratie qu’il ne peut y avoir de « grands » électeurs pas plus que de « petits » électeurs. « Une personne, une voix », dit l’adage.

On a toutefois un peu oublié l’existence de ces grands électeurs, princes d’empire ecclésiastiques ou laïques chargés d’élire l’empereur d’Allemagne. On garde un vague souvenir des régimes censitaires où le droit de vote était réservé à une minorité d’électeurs assez fortunés pour payer le cens (un montant des impôts ouvrant le droit de vote) et, peut-être des modes de scrutin à plusieurs degrés, deux généralement mais trois dans la Prusse jusqu’en 1914. Ces scrutins indirects faisaient appel à de grands électeurs, c’est-à-dire à des élus pris dans un corps électoral large pour élire quelques-uns d’entre eux investis d’un mandat représentatif dans un parlement, un Sénat, une assemblée consulaire, etc. Le suffrage universel les a supprimés en ajoutant toujours la mention « direct » dans les textes constitutionnels. Direct ? Le terme paraît aujourd’hui superfétatoire.

Lire aussi Razmig Keucheyan, « Le suffrage universel, une conquête toujours inachevée », Le Monde diplomatique, avril 2015.

Les grands électeurs peuvent subsister à titre de vestiges. Ainsi dans l’élection présidentielle américaine : il faut attendre la réunion du collège électoral pour que les votes des électeurs américains soient ratifiés par des grands électeurs, héritiers d’un temps où les communications étaient lentes et où l’on ne concevait pas une élection sans le rassemblement physique des électeurs. Il n’y a plus d’incertitude aujourd’hui puisque ces délégués votent selon la majorité enregistrée dans leur État. Ainsi des candidats majoritaires à l’échelle de l’État fédéral peuvent être minoritaires en nombre de mandats comme en 2000 et 2016. On sait que la traduction des suffrages dans le système fédéral ne garantit pas l’élection du candidat ayant…

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Auteur: Alain Garrigou