Piège le piège

« L’occidental piège comme il respire. C’est un art subtil, fruit d’une pratique ancestrale mêlant séduction, brutalité et planification. Enfumant les perceptions, il sait transmuer la puanteur morbide de ses pièges en une odeur de rose et de promesse de jouissance. C’est sa façon d’étendre ses ailes sur le monde. Il est doué pour se raconter des histoires dans lesquelles on sauve des vies alors qu’on en détruit. Des histoires de techniques qui soulagent du poids des jours, effacent les doutes, la vulnérabilité, éloignent la sensibilité. Jusque dans son langage, la plus petite trace de conflictualité est effacée. Les mots hydroalcoolisés que l’on s’échange nettoient le réel de ses tensions, de ses altérations. »

Je suis somme toute d’un naturel rêveur. J’aime balayer la journée des soucis qu’elle contient. Le piège, tout bien pesé, j’ai pas trop envie d’y penser. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. Mais quand il s’agit de signer un texte à publier je me pose la question, je change d’avis. Vanité, oui, c’est par toi que j’entre dans ce traquenard. Sur l’étendue de la page blanche où les rêves prenaient forme, j’ai posé le premier mot et leur engrenage me suggère que je n’en ressortirai peut-être pas entier.

C’est assez technique au fond un piège. Pas très émotionnel, très peu affectif, plutôt mental. Ça demande de la rigueur, et pourvu que l’on s’applique, ça vire très vite à l’obsessionnel. Quand on y pense, on ne pense plus qu’à ça. C’est le propre du piège : y être scotché, ne plus pouvoir y échapper. Quand on en tend un, il faut en tendre d’autres, faire « toile », assurer ses arrières. C’est une sacrée inquiétude qui se cultive et finit par avoir ses exigences et son intendance propre. Faut y voir un bien gros gain pour mobiliser tant de moyens. C’est vraiment un truc de pro assorti d’une passion. En bref, une vocation : maffieux, politiciens, chasseurs, prestidigitateurs, grands managers, joueurs d’échec, financiers, pervers.

Pour commencer, le piège comme cruauté organisée pue la mort. On piège la vitalité chez l’autre pour l’amener à l’impuissance, éviter qu’elle dérange ; ou parce qu’elle fascine, on l’incorpore en la domestiquant. En cherchant un peu, on s’accapare des vies entières en les faisant travailler jusqu’à la mort, on invente l’esclavage, puis l’emploi, les traites, les dettes… La sophistication organisationnelle allant son train, les techniques de piège s’affûtent, avec une étonnante…

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Auteur: lundimatin