Plus ubérisé qu’Uber ? le microtravail numérique dans l’angle mort du droit

Vous connaissiez le crowdfunding, manière participative de financer un projet ? Place maintenant au crowdworking. Ces nouvelles formes de travail effectuées par « la foule », via un intermédiaire numérique, connaissent un essor certain mais se révèlent néanmoins être un phénomène difficile à évaluer.

Il repose sur des modèles plus flous encore qu’Uber ou Deliveroo : c’est par exemple Wirk.io ou Malt, qui font appel à des contributeurs volontaires, les contrôlent et les évaluent, pour aider des entreprises à être plus productives ; ce sont des sites tels que CashPirate, FeaturePoints ou WinMinute qui réalisent des sondages où les interrogés sont rémunérés.

Ce sont encore des plates-formes ou des applications proposant des microtâches, la plus connue étant Amazon Mechanical Turk, le « Turc mécanique d’Amazon » qui a donné lieu à la dénomination de « tâcherons du numérique » pour désigner ceux qui effectuent les missions. Les équivalents français développent aussi un lexique dédié bien identifiable pour nommer leurs microtravailleurs : « fouleurs », « eyes », ou autres « clicwalkers » ont trouvé place dans les langages.

Ce microtravail numérique s’appuie sur des formes de travail qui bousculent le statut de salarié, la protection qui lui est liée et l’application de la réglementation sociale et fiscale. Les plates-formes classiques reposent sur du travail visible et officiellement indépendant : les chauffeurs Uber ou les livreurs Deliveroo sont inscrits en tant qu’autoentrepreneurs au registre du commerce.

Les microtravailleurs, eux, n’ont aucun statut et sont invisibilisés. Il suffit de s’inscrire sur la plate-forme en ligne ou de télécharger l’application, d’être ainsi réputé accepter les conditions générales d’utilisation et la relation contractuelle est formée.

En droit, c’est ce que l’on pourrait appeler un « contrat d’adhésion ». Contrat non négociable entre un professionnel et un particulier, à accepter dans sa globalité sans possibilité de le négocier, il se rencontre en droit de la consommation et entraîne l’application de mesures protectrices de la partie « faible », à savoir le consommateur, contre des clauses qui pourraient être abusives. Ici, ces relations, invisibles, restent pour l’instant dans l’angle mort de plusieurs branches du droit, celle du travail, de la consommation et même du droit civil classique.

Un embryon de droits

Selon les études disponibles, le « salaire » horaire moyen au niveau mondial via ces plates-formes est de 2 euros de l’heure, en violation des conditions minimales d’un travail décent. Mais bien difficile de faire appliquer le droit : face à l’invisibilité du microtravail numérique, il semble impossible de mobiliser les critères d’analyse traditionnels du travail salarié.

Quelles solutions juridiques alors ? Pour les plates-formes classiques, de livraison et de transport, un embryon de droits existe. En 2016, la loi El Khomri a prévu le respect de quelques obligations au bénéfice de leurs travailleurs qui ont un statut juridique d’indépendant. Ils ont également droit à une sorte de représentation collective depuis 2021.

Les juges, eux, ont la possibilité de procéder à une requalification de ces relations contractuelles en relations de travail salarié. C’est ce qu’a fait la Cour de cassation avec Take It Easy ou Uber. Cette reconnaissance a posteriori de la qualité de salarié du travailleur ubérisé est toujours envisageable et entraîne donc l’application du droit du travail.

Mais ce qui vaut pour les plates-formes de type Uber ou Deliveroo, vaut-il pour celles de microtâches ?

Un statut juridique en question

Pour l’instant, la réponse est non. Et une décision judiciaire récente montre que les réponses du droit restent aujourd’hui limitées et inadaptées.

Une affaire contentieuse mettant en cause une application de microtravail numérique, Clic & Walk, start-up lilloise, pour délit de travail dissimulé a donné lieu en avril 2022 à une première décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Revenons sur cette affaire.

Click & Walk offre à des entreprises la possibilité de collecter des données sur leur clientèle et de bénéficier d’études de marché. Celles-ci proviennent de particuliers, les « clickwalkers » qui téléchargent librement…

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Auteur: Emmanuelle Mazuyer, Directrice de recherche au CNRS en droit, Université Lumière Lyon 2