Poème en vrai

Un jour, dans le jardin d’une librairie, une amie m’a parlé d’un recueil de poèmes féministes ; elle m’a raconté comment, dans les années 70 et 80, des femmes américaines se sont emparées de cette langue libre (la poésie) pour dire leur expérience. Ce récit m’a marqué. J’ai imaginé des poèmes entrelus, passant d’une main à l’autre, des voix rauques ou tremblantes qui se confient sans se contraindre à la retenue imposée par la langue : que se passerait-il si les femmes pouvaient dire en vérité ce qu’elles traversent ?

Plus tard, j’ai écrit, un ou deux poèmes ; peut-être pour m’approcher de ce que ce serait de dire en vrai, après des années à dire, pour faire plaisir, que je m’en remettrai.

M’enfuis
cette histoire-là
Courir encore
cette course sans fin
m’épuise le corps
Les larmes ont fait
leur nid
au creux du cou
un océan tapi
toujours déjà m’embrouille la vue
me donne nue
dans le grand jeu grand ring
des vies et rues.
Sanglots idiots quand je devine
la peur en moi
la reconnaît si cette amie me court après :
« ce n’est que moi »
mais les sanglots …
j’ai cru mourir encore une fois.
Tant de fois j’ai couru
j’ai cru
qu’en me voyant on me devinait
nue
soumise
et morcelée.
J’ai l’océan au fond des yeux quand je souris
encore un peu m’enfuir
rien qu’avec ce sourire
échapper à l’histoire océan, l’histoire de peur et de peau
l’histoire où tout s’arrête
un jour un seul
J’ai son regard sur moi quand je me veux debout
regard qui me fouille
me fantôme et me verrouille.
J’aurai 17 ans toute ma vie.

J.

Je transporte des explosifs, on les appelle des mots aux éditions Cambourakis

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Auteur: lundimatin