Poissons des glaces et grenouilles des bois, comment résistent-ils au froid extrême ?

Dans leur ouvrage, « La vie en milieu extrême » aux éditions Quae, Juliette Ravaux et Sébastien Duperron explorent les adaptations remarquables des animaux capables de vivre dans des environnements hostiles pour les humains. Dans cet extrait, nous vous proposons de découvrir les poissons des glaces et les grenouilles des bois qui ont mis au point des solutions pour résister aux grands froids.

Le problème majeur des espèces exposées au froid extrême est le gel des fluides corporels. Un problème aigu, en particulier, pour celles qui ne régulent pas leur température interne. La prise en glace des liquides corporels endommage sévèrement les cellules, qui risquent l’écrasement ou l’éclatement, et doit être évitée.

Les poissons des glaces ont trouvé la parade. Ces poissons osseux peuplent les eaux australes de l’Antarctique et de la pointe de l’Amérique du Sud, et appartiennent au groupe remarquablement bien adapté au froid des notothénioïdes.

Dans leur environnement, l’eau de mer avoisine – 2 °C la majeure partie de l’année, et les cristaux de glace omniprésents se déposent sur leur peau, leurs branchies, et pénètrent dans leur corps lorsqu’ils se nourrissent et boivent de l’eau de mer. Malgré cela, les poissons des glaces ne gèlent pas, et vivent ainsi jusqu’à – 2,2 °C. Comment font-ils ? Leur résistance au froid est liée à la présence de protéines « antigel » dans leur sang et leurs fluides corporels. Ces protéines ont la particularité d’être hérissées de minuscules pointes hydrophobes qui, à la manière d’une clé dans une serrure, s’insèrent parfaitement dans les trous nanométriques formés naturellement par l’agencement des molécules d’eau à la surface des cristaux de glace. Une fois liées aux cristaux, les protéines les empêchent de grossir et de faire prendre en glace tout le liquide présent. Elles abaissent ainsi la température à laquelle la glace se forme en dessous du point de congélation naturel des fluides corporels (– 0,7 à – 1 °C). Elles agissent donc comme des agents de protection contre le gel, appelés aussi cryoprotecteurs.

Par leur capacité à contrôler la formation de la glace, ces protéines antigel
présentent un potentiel d’application dans de nombreux domaines : l’agriculture, pour développer des plantes résistantes au gel, l’industrie alimentaire pour préserver la structure des surgelés d’origine animale ou végétale, ou encore la médecine pour la congélation de tissus vivants ou de cultures cellulaires.

Paradoxalement, ce mécanisme de protection pourrait être fatal aux poissons antarctiques. Les protéines antigel se lient en effet de façon irréversible aux cristaux de glace, et elles les stabilisent de sorte qu’ils ne fondent qu’à des températures relativement élevées. Or, dans l’habitat de ces poissons, celles-ci ne sont jamais atteintes ; un suivi sur plus d’une décennie entre 2000 et 2013 rapporte des valeurs oscillant entre – 2 et – 0,5 °C. Les cristaux de glace stabilisés s’accumulent donc dans les tissus de l’animal, envahissant le sang, le système digestif, et même la rate. On ne sait pas encore comment l’animal élimine ou stocke ces cristaux délétères… Les protéines antigel n’expliquent donc pas à elles seules la résistance des poissons antarctiques au froid.

Un sorbet de grenouille

Contrairement aux poissons antarctiques ou aux collemboles arctiques qui luttent contre la formation de glace, d’autres animaux résistent au froid extrême… en gelant !

Une grenouille des bois.
Wikimedia

Ces animaux sont dits tolérants au gel. C’est le cas de la grenouille des bois Rana sylvatica, qui peuple les forêts boréales de l’Alaska et du Canada. En automne, elle s’aménage un abri pour hiberner : un simple trou dans le sol forestier recouvert de feuilles et de débris, puis de neige. Elle s’y réfugie jusqu’au printemps, endurant pendant sept mois des températures négatives avec des minimales à – 15 °C dans l’abri, alors que la température à l’extérieur descend jusqu’à – 40 °C. La grenouille gère la déshydratation de ses tissus et la formation des cristaux de glace, sans toutefois complètement éviter de geler. Elle survit ainsi à l’hiver arctique en tolérant que son corps gèle jusqu’à…

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Auteur: Juliette Ravaux, Maître de conférences, Sorbonne Université