Polynésie française : l’épidémie du Covid a-t-elle servi le mouvement indépendantiste ?

En juin dernier, la Polynésie a créé la surprise en envoyant trois députés indépendantistes à l’Assemblée nationale, soit la totalité de son quota. En 2017, les indépendantistes n’avaient emporté qu’un seul siège, et aucun en 2012.

Se pourrait-il que ce succès inattendu soit en partie lié à l’épidémie de Covid, laquelle a durement frappé la Polynésie durant l’été 2021 ?

Cette hypothèse n’est pas exclue car la situation locale repose sur un rapport complexe avec l’État où, depuis les essais nucléaires de 1995, la peur d’être victime d’une machination demeure très présente, le nucléaire jouant en Polynésie un rôle comparable à celui du chlordécone aux Antilles.

Une sensibilité plus autonomiste qu’indépendantiste

La vie politique polynésienne est depuis longtemps structurée autour de deux grands partis, apparus simultanément en 1977 : le Tahoeras’a huira’atira (Union du peuple), créé par Gaston Flosse, de sensibilité gaulliste et autonomiste, et le Tavini huira’atira (Servir le peuple), parti indépendantiste créé par Oscar Temaru.

Plusieurs facteurs ont toutefois défavorisé le parti indépendantiste au profit du parti autonomiste. On peut notamment citer : un ancrage ancien de la Polynésie dans la République, lié au fait que la pleine citoyenneté a été accordée dès 1880 ; l’obtention précoce d’un premier statut d’autonomie (dès 1977), ce qui a rendu plus délicate la mise en accusation de l’État français et les éventuelles velléités de rupture ; enfin les pratiques clientélistes du parti autonomiste majoritaire, lequel a su utiliser les largesses de l’État dispensées durant la période du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), l’organisme chargé de réaliser les essais nucléaires à partir de 1966, pour cultiver son implantation.

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Disposant alors d’un faible espace politique, les indépendantistes ont été amenés à tenir un discours radical et vindicatif, n’hésitant pas à accuser la France de « brigandage » ou de « terrorisme d’État », et défendant une conception ethno-nationaliste de l’identité polynésienne avec le slogan « une identité maohi, un peuple maohi, une tradition maohi ». Cette radicalisation n’a pas contribué à rendre crédible la cause indépendantiste.

Le précédent de 1995

Une conjoncture particulière a cependant redonné du souffle aux indépendantistes au début des années 2000. Pour faire accepter la reprise des essais nucléaires en 1995, le président Jacques Chirac a en effet promisun nouveau statut d’autonomie à son ami et fidèle soutien Gaston Flosse, président de la collectivité entre 1996 et 2004. Ce statut, très avantageux, devait aussi permettre de couper définitivement l’herbe sous les pieds des indépendantistes.

Mais le plan n’a pas marché comme prévu. Aux élections territoriales de 2004, une coalition indépendantiste a su emporter la majorité des sièges en utilisant à son profit le mode de scrutin conçu par Gaston Flosse. Une crise politique s’en est suivie qui a duré plusieurs années. Condamné par la justice, Gaston Flosse a finalement laissé la place à son gendre, Édouard Fritch, mais les deux hommes se sont fâchés à leur tour, ce qui a amené Fritch à créer son propre parti, le Tapura huira’atira, lequel incarne désormais la tendance autonomiste majoritaire.

D’un autre côté, les essais nucléaires ont produit une cassure plus profonde que prévu dans la population. Les études sanitaires ont beau être régulièrement rassurantes, le sentiment s’est développé que les élites locales et nationales minimisent les effets des retombées radioactives.

Un contexte très religieux

Par ailleurs, si la question du nucléaire est devenue particulièrement sensible, c’est aussi en raison de sa forte instrumentalisation par l’Église protestante. Très engagée dans la cause indépendantiste, celle-ci a fait des essais nucléaires l’emblème de l’exploitation du peuple maohi par l’État français.

Or le protestantisme est très bien implanté en Polynésie où la colonisation a été initialement menée par les Britanniques. Parallèlement, de nombreux mouvements religieux ont prospéré (mormons, Témoins de…

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Auteur: Vincent Tournier, Maître de conférence de science politique, Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)