Post post-moderne…

Sans filtre (Triangle of Sadness), de Ruben Östlund

Après son premier film palmé à Cannes en 2017, The Square, dans lequel il interrogeait le monde de l’art contemporain, son rapport aux valeurs morales et à la communication, le réalisateur suédois Ruben Östlund se voit à nouveau attribuer la palme d’or pour son film Triangle of Sadness (Sans filtre en France). Celui-ci met en scène deux personnages, Carl et Yaya, mannequins et influenceurs, dans trois tableaux qui sont autant de milieux expérimentaux qui permettent de mieux interroger leurs réactions face à leur environnement. Le premier tableau montre leur vie ordinaire, professionnelle et personnelle. Le deuxième les fait embarquer comme invités à bord d’une croisière de luxe, où ils font la rencontre de différents personnages, personnel navigant ou autres croisiéristes. Et le dernier les met en scène échoués avec quelques autres sur une île supposée déserte. Va alors s’opérer un renversement des positions sociales : les puissants d’hier s’avèrent impuissants en ce qui concerne la survie en milieu hostile. Le Triangle n’a pas vraiment fait l’unanimité… Des critiques ont regretté un certain psychologisme. Ou l’ont présenté comme l’œuvre d’un misanthrope réactionnaire faussement subversif. Il semble que ce soit là déconsidérer ce qui fait à la fois sa spécificité, son unité et les interrogations qu’il soulève.

Les premières scènes nous font entrer dans le film par la porte du monde de la mode. Croire que la mode n’est qu’un pan du réel que le cinéaste chercherait à documenter, c’est méconnaître le fil d’Ariane qui court tout au long des trois expériences qu’Östlund propose à ses personnages. La mode, en effet, est ici une clé de compréhension de la subjectivité post-moderne, qu’ils incarnent de manière paradigmatique. Dans les deux premières parties, les critères de valeur « classiques », c’est-à-dire reconnus et utilisés avant le XIXe siècle, sont abolis au profit de la création du besoin. La nécessité, l’utilité, ou encore le sacré, sont tous l’expression de besoins. D’une économie du besoin, on est passé à une économie du désir — ce que représente la mode, qui doit créer le désir par la nouveauté, via des formes qui sont le produit de celles qui les ont précédées, et destinées à être consommées. Carl, mannequin et personnage principal du film, se retrouve face à un créateur de mode qui lui…

La suite est à lire sur: blog.mondediplo.net
Auteur: Samuel Brunel