Pour en finir avec les intentions de vote

Thomas Hicks — « Calculating » (Calculant), 1844.

Quitte à jouer les censeurs, interdisons les sondages sur les intentions de vote. Interdire ? Quand on ne parle plus que liberté, à tout propos et avec véhémence, comment peut-on suggérer un instant une telle ignominie ? Quand je l’ai suggérée à des élus de la République, l’objection m’a été opposée avec un réflexe d’horreur : « interdire ? vous n’y pensez pas, vous allez vous faire démolir ». Cela m’a fait sourire et un peu plus déterminé à dire ce que je pense depuis vingt ans. Sur le plan intellectuel, l’affaire est d’ores et déjà jouée. Qu’en serait-il sur le plan légal ?

Lire aussi Alain Garrigou, « L’investiture par la grâce des sondages », Le Monde diplomatique, décembre 2021.

Rappelons d’abord que les sondages ont établi leur crédit sur les intentions de vote parce que les instituts avaient trouvé là un terrain idéal pour montrer qu’avec un échantillon représentatif, on pouvait prédire le résultat des élections. À partir de là, l’épreuve pour ce seul sujet a valu pour tous les autres, sans qu’on puisse confronter des résultats à des scores réels comme avec les élections. On en a même oublié que les intentions de vote n’étaient pas de la même qualité selon qu’on posait la question un an ou six mois avant une échéance électorale, quand on ne connaît même pas tous les noms, ou deux jours avant l’échéance. Dans le premier cas, il s’agit d’une question fictive qui ne se pose pas quelles que soient les précautions oratoires du libellé de la question « si l’élection avait lieu dimanche prochain et si »… Comme si les sondés s’y trompaient. Ils marquent seulement leur bonne volonté à répondre à une question qui ne se pose pas et contribuent ainsi innocemment, comme dans un jeu, à produire un artefact. Les sondeurs le savent fort bien. Une fois n’est pas coutume, citons l’un d’entre eux : ces sondages, c’est « du grand n’importe quoi, et six mois avant les élections, ils ne veulent absolument rien dire, mais nous devons répondre à la demande de nos clients et il y a une logique médiatique terrible, et une volonté non avouée de faire du spectacle. ».

Si l’on se fie aux différentes études de sociologie électorale réalisées depuis The People’s Choice (Paul Lazarsfeld, 1944), l’intention de vote est toutefois le plus souvent forgée dans la semaine précédant un scrutin. Depuis D. H. Gallup, la…

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Auteur: Alain Garrigou