Pendant que les milliardaires de la tech foncent vers le ciel dans leurs fusées suborbitales, rivalisant pour savoir qui de Jeff Bezos (patron d’Amazon) ou de Richard Branson (patron de Virgin) offrira la meilleure page de publicité pour le tourisme spatial, montons dans un vulgaire bus. Cet autobus circule à Kourou, en Guyane, non loin du pas de tir d’Ariane 5. Il est affrété par le Centre spatial pour promener les touristes sur la base européenne, construite dans les années 1960 au milieu des savanes et de la forêt amazonienne. Il y a quelques années, on y passait pendant le trajet un film documentaire énumérant toutes les mesures prises pour préserver l’extraordinaire biodiversité du site. Son titre : « Gagner l’Espace sans perdre la Terre ».
L’industrie spatiale a toujours bénéficié d’une sorte d’aura d’exceptionnalité — on peut bien lancer une fusée de temps en temps pour faire avancer la science — ou de patriotisme — il faut que la France tienne son rang face aux États-Unis ou la Chine. De ce fait, et à cause de sa vocation céleste, on s’est peu penché sur ses conséquences écologiques. Pourtant, si les services de communication du Centre spatial de Guyane ont jugé pertinent de réaliser ce film, c’est bien parce qu’il n’y a rien d’évident à ce qu’on puisse gagner l’espace sans perdre la Terre. Et les Guyanais le savent bien, eux qui ont sous les yeux cette infrastructure hors normes et voient défiler des convois de matières dangereuses sur la Nationale 1.
« Où sont les papes de Louisiane et les passerins indigo ? »
Propulser une masse de 750 tonnes à 8 000 km/h (comme la fusée Ariane 5) nécessite un concentré d’industries extractives et chimiques : 240 tonnes de polybutadiène, perchlorate d’ammonium et aluminium, 173 tonnes d’hydrogène et oxygène liquides obtenus à grand renfort d’énergie, plus de l’hydrazine et du tétraoxyde d’azote bien toxiques. À chaque lancement (un par mois à Kourou, une centaine par an dans le monde), un gigantesque nuage de combustion dissémine du gaz chlorhydrique et des particules d’alumine à des kilomètres alentour. Les particules acides du nuage sont diluées par un rideau d’eau de 9 m³ par seconde surnommé « le Déluge », recueillies dans des fosses en béton de 18 m de long puis traitées à la soude avant d’être rejetées dans l’environnement. Impossible de savoir quelles en sont exactement les conséquences : les études environnementales sont la propriété du Centre national…
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Auteur: Celia Izoard Reporterre