Pour inaccepter l'inacceptable

Tu parles de la nécessité, entre autres dans Défaire la tyrannie du présent, de se « débarrasser » des mythologies progressistes. Tu mets en question un paradigme progressiste révolutionnaire qui serait celui du « grand soir » ou, comme le nomme Frédéric Lordon, le « point L » (comme Lénine). Pourtant, si je t’ai bien lu, il ne me semble pas que tu sois totalement opposé à l’événement révolutionnaire car tu apportes une nuance dans Basculements : « Il faudrait plutôt concevoir un processus qui commence dès maintenant, sans pour autant exclure des épisodes d’intensification de l’affrontement avec le monde de l’économie ». Tu critiques la stratégie du « grand soir » tout en proposant d’autres notions qui n’excluent pas fondamentalement celle-ci. Pourrais-tu ici revenir sur la manière dont ces deux tendances pourraient s’articuler de manière fructueuse ? Y a-t-il réellement incompatibilité ? Ces deux stratégies ne peuvent-elles pas exister comme deux régimes de temporalité concomitants ?J’aimerais tenter d’écarter un possible malentendu. Je fais en effet la critique de l’imaginaire du Grand Soir, tel que Frédéric Lordon l’a récemment revendiqué. Mais l’hypothèse stratégique proposée dans Basculements et, précédemment, dans Une juste colère, n’exclut pas du tout une dynamique de soulèvements et d’affrontements avec le monde de l’Économie et les forces qui le défendent. Plus précisément, et je vais y revenir, cette hypothèse stratégique repose sur la combinaison entre la multiplication de ce que j’appelle des espaces libérés ET une intensification des dynamiques de blocage, dans toutes les dimensions que ce terme peut recouvrir, jusqu’à la propagation des soulèvements populaires, ainsi qu’on l’a vu avec les Gilets Jaunes et la séquence insurrectionnelle planétaire de l’année 2019.

Alors, sur quoi porte la critique du Grand Soir ? D’abord, j’indique que je ne vise pas seulement le Grand Soir mais, plus largement, la polémique opposant Grands Soirs et petits îlots, telle qu’elle a pu être déployée par Frédéric Lordon et Alain Damasio, et qui me semble constituer une alternative biaisée. Je me reconnais évidemment davantage dans les propositions de Damasio, mais il me semble que la métaphore de l’archipel reproduit l’image des espaces libérés comme autant d’îlots minuscules, perdus dans l’océan de la domination marchande. Ce faisant, elle risque de conforter un auto-enfermement dans une posture d’impuissance…

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Auteur: lundimatin