Pour la libération de l'humain, la société conviviale d'Ivan Illich

Ce texte a été publié en préface à la réédition de La Convivialité, d’Ivan Illich (Seuil 1973, rééd. Points Seuil 2021).


C’était début 2002. Lors d’un colloque à l’Unesco sur le thème Défaire le développement, refaire le monde, je vis un groupe de personnes qui conversaient. L’homme qui était manifestement le centre magnétique de ce groupe était grand, et affligé d’une énorme protubérance à la mâchoire qui formait comme un gonflement monstrueux de sa joue. Mais malgré cette impressionnante difformité, il discutait de plein pied avec ses interlocuteurs. Intimidé, je n’osais me joindre au groupe et demander un entretien au grand homme. Quelques mois plus tard, en décembre, il décédait. C’était Ivan Illich : cohérent jusqu’au bout avec sa critique de l’institution médicale, il avait décidé d’affronter la mort les yeux en face, n’allégeant que par la morphine les souffrances que lui causait le cancer des glandes parotides. Une fin exemplaire pour un homme dont la vie avait été animée par la joie des rencontres et la phosphorescence des idées.

Illich a joué un rôle majeur dans l’élaboration de la pensée écologiste durant les années 1970. Il a ensuite disparu des radars médiatiques et intellectuels, même si des lecteurs attentifs suivaient les jalons de son œuvre, certes moins en phase avec l’esprit de l’époque mais toujours roboratifs. Avec la nouvelle édition de son ouvrage phare, La Convivialité, on redécouvre une pensée qui, voici déjà cinquante ans, agençait les mots qui nous hantent aujourd’hui — « effondrement, fascisme, manipulation cybernétique, apocalypse, transition, … » —, mais aussi ceux qui esquissent les traits d’un avenir désirable : « autonomie, pluralité, limites, sobriété, bien-être ».

Rappelons qui était Illich. Né en 1926 en Autriche, ce fut un jeune homme brillantissime, qui étudia la chimie et la cristallographie à Florence, puis la théologie à l’université grégorienne de Rome. Il choisit de devenir prêtre. Le Vatican destinait ce jeune polyglotte (il maîtrisait huit langues) à la diplomatie, mais Illich préféra aller à New York où on lui confia en 1952 la paroisse d’Incarnation Church, à Manhattan. Dans cette paroisse irlandaise transformée par l’arrivée massive d’immigrants portoricains, Illich déploya des talents remarquables de pédagogue et de passeur entre les cultures américaine et hispanique. Le succès fut tel que ses supérieurs l’envoyèrent en 1956 à l’Université…

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Auteur: Hervé Kempf Reporterre