Lorsque l’on parle de crime, de prison, de police, de leur abolition, on se place le plus souvent sur le plan de l’argumentation, de la démonstration, de la raison. Il s’agit de convaincre, de prouver que ces institutions sont absurdes, mauvaises voire contre-productives. Le texte de Gwenola Ricordeau que nous publions cette semaine propose un pas d’écart. Il part de l’expérience, du viscéral, il parle de ce que la prison et la police nous font sensiblement. Il introduit « Crimes et Peines. Penser l’abolitionnisme », un livre autour de trois textes « classiques » de la pensée abolitionniste (Nils Christie, Ruth Morris et Louk Hulsman) qui sont traduits pour la première fois en français (par Pauline Picot et Lydia Amarouche). Le livre, publié par les éditions Grevis, sort en librairie le 14 mai.
Pour le petit bout de soi qui s’en va lorsque des policiers viennent t’arracher à tes proches, à tes amours, à ta vie. Lorsqu’un juge t’enlève ton fils, ta sœur, ton père ou ton amante. Lorsque tu essaies de serrer contre toi un être cher à travers des grilles.
Pour le petit bout de soi qui s’en va lorsqu’il te faut être convaincante et même « crédible », alors que tu voudrais seulement qu’on t’écoute et qu’on te croie. Lorsqu’ils ne prennent même pas la peine d’essayer de comprendre. Lorsque c’est ton histoire, mais qu’on te reproche d’en faire « toute une histoire ».
Pour le petit bout de soi qui s’en va lorsqu’ils mettent ton nom ou celui d’un autre sur un dossier et que ton histoire n’est déjà plus vraiment la tienne, ou la nôtre. Lorsqu’ils font de toi ou de nous leur « affaire » — une petite affaire de rien du tout, ou une belle affaire.
Pour le petit bout de soi qui s’en va lorsque, entre les murs de leurs tribunaux, ils dissèquent nos existences à coups de scalpel. Lorsque leurs procureurs nous parlent en hommes et que leurs juges prennent à témoin la société comme si celle-ci n’avait pas déjà prononcé sa sentence. Lorsque c’est la plus grande des solitudes sur le ban des accusés, et la grande ronde de ceux réunis là pour nous passer à la moulinette.
Pour le petit bout de soi qui s’en va pendant qu’ils défilent à la barre, ceux qu’on a conviés au festin de nos entrailles, ceux qui sont payés pour nous examiner sous toutes les coutures et pour donner leur avis sur notre âme et sur nos faits. Pendant que les témoins de moralité font ce qu’ils peuvent et que le public chuchote et se repaît du spectacle.
Pour le petit bout…
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Auteur: lundimatin