Pour vivre libres, sortons du bocal numérique

Célia Izoard, journaliste et membre de la revue Z, a fait des études de philosophie et traduit des ouvrages critiques de la technologie moderne, dont 1984, de George Orwell, aux éditions Agone, à paraître en janvier 2021.


À la fin du Quai de Wigan (1937), George Orwell analyse l’assujettissement par la machine. Un monde où elle serait omniprésente aurait tué le travail créatif, atrophié les sens et détruit la volonté d’agir par soi-même. Il a cette formule saisissante : « L’aboutissement logique du progrès mécanique est de réduire l’être humain à quelque chose qui tiendrait du cerveau enfermé dans un bocal. »

On trouverait difficilement meilleure image pour décrire la situation créée par le capitalisme numérique. Nous vivons dans un monde où la plupart des métiers, des loisirs et des conversations se déroulent derrière des écrans. Les possibilités infinies offertes par le mouvement du corps et les cinq sens ont été remplacées par une sorte d’hypertrophie du cerveau exclusivement alimenté par la vue et l’ouïe. Chacun dans son bocal numérique. Notre expérience du monde glisse le long de ses parois de verre.

Tout l’intérêt d’un bocal est qu’on peut regarder à l’intérieur. Un cerveau dans un bocal est soumis à la surveillance et à l’expérimentation. Les fabricants de bocaux sont bien placés pour en parler, tels les ingénieurs et designers repentis de la Silicon Valley qui témoignent dans le documentaire The Social Dilemma, produit par Netflix (qui produit lui aussi des bocaux). « L’intelligence artificielle de Facebook est comme une expérience où l’on stimulerait les pattes d’une araignée pour voir quel nerf va répondre, explique Tristan Harris, ex-designer Google. Derrière l’écran, il y a des milliers d’ingénieurs, des supercalculateurs et des algorithmes qui savent tout de vous et testent en permanence ce qui a le plus de chance de vous tenir accroché. » L’objectif…

Auteur: Célia Izoard Reporterre
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