« Pour vous combattre » : la littérature, la politique, l’histoire. Un entretien-événement avec Joseph Andras

On pense, en lisant Pour vous combattre, à la réflexion de Charles Péguy sur l’écriture de l’histoire, quand il opposait à la démarche du savant la nécessité de « s’incorporer dans le corps sentant de tout un peuple ». Vous reconnaissez-vous dans ce rapport à l’Histoire ?

Joseph Andras : L’entre-tuerie des révolutionnaires de 1794 me touche au sens strict. Ils sont pour moi des fantômes à portée de main. Pour un peu, des gens du coin de la rue. Hobsbawm a parlé, comme historien, comme sympathisant révolutionnaire, d’un « lien organique » qui existe avec le passé – il en déplorait la perte contemporaine. Je comprends ça. Les lames de fond, les continuums, les articulations causales et les longues durées m’importent. Je les aime et, surtout, je m’y sens à ma place. Je n’ai vraiment rien contre les grands récits, les grands schémas narratifs. Le discontinu, l’éclaté, le parcellaire et le morcelé, tout ça ne m’est pas familier. Au fond, j’ai un rapport « moderne » à l’Histoire – pardon, Péguy, pour le vilain mot. Je compose des fresques autrement plus volontiers que des fragments : Ainsi nous leur faisons la guerre court sur un siècle et S’il ne restait qu’un chien, 500 ans. Je ne communie pas dans l’ironie, le scepticisme ni le recul prudent et avisé : « s’incorporer », ainsi, c’est entendu. Triturer l’Histoire avec des pinces ou des gants ne me viendrait pas à l’idée. Je me sens, très simplement, très banalement, héritier et successeur – d’une longue tradition qu’on connaît sous le nom de « socialisme ». C’est, à ce jour et à ma connaissance, le seul terme à avoir, partout, sur chaque continent, rendu pensable, dans chaque strate et chaque recoin de l’existence et du monde social, l’abolition de la loi des forts.   

« Sombre fidélité pour les choses tombées ». Peut-être pourrait-on résumer une part de mon travail par ces mots. 

De 1789 à aujourd’hui, je ne vois qu’un seul fil – accidenté, certes, fracassé, sans conteste, ensanglanté, assurément, mais jamais rompu. Je m’y accroche. D’autres prendront la suite. Je dis « 1789 » mais je pourrais presque remonter aux années 20, quand un drôle de type a, pendant deux ou trois ans, fait savoir en Galilée tout le mal qu’il pensait des riches. Une vieille histoire. C’est le fil de la rupture fondamentale, de l’idée – par « idée », j’entends l’égalité. Hugo a des mots superbes dans le septième livre des Misérables. Permettez que je…

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Auteur: Le Média