Pour

Un rêve m’avait donné l’indication : je rentrais d’une manifestation après une longue marche, et j’arrivais en retard pour recevoir un patient. Dans le bureau, c’était le bazar, quelqu’un avait dormi, le divan tout en pagaille. Je m’excusais, avec le sentiment aussi vivifiant que quelquefois la vie déborde et que je ne peux pas toujours maintenir bien fermées les frontières. Plus tard un enfant me demandait si on faisait la grève dans mon métier, et je lui avais demandé ce qu’il en pensait, avec cette drôle de manière qu’on a quelquefois de renvoyer la question. De toute façon, c’est trop dangereux, avait-il dit, à cause de la police. Il ne faut pas y aller.

Il est toujours possible – et nécessaire en l’occurrence – de rapporter ce type de questions à l’histoire psychique de la personne qui l’énonce, mais on peut aussi s’étonner de cette conscience politique prématurée, d’un certain savoir sur la violence et plus globalement d’un savoir nouveau du danger qui me donne l’impression que la retraite, la question de ma retraite, ce serait ça : des enfants qui en savent déjà plus que moi sur la planète et la violence des hommes ; et l’histoire des générations qui s’inverse, dans une situation où j’aide un enfant à survivre psychiquement dans une société dont il apprend à connaître les armes pour me protéger.

La condensation de ces trois scènes : un rêve, un enfant, une manifestation me font penser que mon personnage de l’histoire, ce personnage du psy s’est ajouté au récit. Et réciproquement : la manifestation a traversé la journée de part en part jusqu’au sommeil, jusqu’au rêve.

Au-delà de mon cas personnel, je crois qu’on peut dire qu’un membre s’est ajouté à l’organisation, avec lequel il faut compter, qui s’ajoute au temps, qui s’en excepte aussi, un supplément au quotidien et à la lutte, quelqu’un.e qui arrive chez Ielle ou chez qui on arrive en courant. Alors la voix qui raconte le rêve s’ajoute à celles de la rue, aux chants, à la colère. L’action est prise dans le récit de tous les rêves, qui accentuent les polarités existentielles – en rattrapant aussi au passage les détails et les déchets.

Le psy, psychanalyste, psychothérapeute, appelons-le comme on voudra, pour autant qu’il ne fait pas que donner des médicaments, et qu’il nous écoute, est entré dans nos vies récemment de façon plus collective. Il fallait jusqu’ici avoir été marqué par quelque chose de la vie, avoir des symptômes dont on ne…

La suite est à lire sur: lundi.am
Auteur: dev