Pourquoi il faut s’intéresser aux émotions des enseignants débutants

Après avoir longtemps été passées sous silence, car jugées néfastes et contraires à la raison, les émotions connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt tant au sein du grand public que dans le cadre de la recherche. En montrant qu’émotions et cognition sont indissociables, Damasio a redonné leurs lettres de noblesse aux émotions dans le contexte éducatif.

Depuis la fin des années 1990, des études internationales se sont penchées sur les émotions dans la salle de classe. Ces recherches portent le plus souvent sur les émotions des élèves et leur lien avec les apprentissages. Lorsqu’elles s’intéressent aux émotions des enseignants, c’est généralement pour analyser leur impact sur les élèves et les apprentissages. Mais dans le contexte actuel de crise d’attractivité du métier, les étudier en tant que telles pourrait aider à comprendre comment les enseignants vivent leur métier, et ce qui pousse un nombre croissant d’entre eux à démissionner, et notamment en début de carrière.

S’il existe initialement une crise de vocation qui explique pour une part la pénurie d’enseignants, un grand nombre de stagiaires s’inscrivent toujours en formation initiale en manifestant une grande motivation pour le métier. Ce n’est qu’en cours d’année qu’ils expriment un certain mal-être.

Peu de recherches ont été jusque-là consacrées aux enseignants novices (les stagiaires et les enseignants nouvellement titularisés) en France. Quelles émotions ressentent-ils au quotidien ? Qu’est-ce qui déclenche leurs émotions ?

Un tourbillon émotionnel

Rappelons qu’une émotion n’est pas une simple réponse à un stimulus comme on l’a longtemps pensé. Elle ne peut se définir de manière isolée car elle a besoin d’un contexte pour se construire. Son point de départ réside dans la représentation/l’image mentale/le scénario qu’une personne se fait d’une situation. Lorsque ce scénario se confronte à la réalité, le décalage engendré fait alors émerger l’émotion.

Les enseignants novices débutent leur carrière avec des représentations du métier liées à leur parcours d’élèves en réussite, aux clichés véhiculés par les médias et le grand public tels « Les profs sont toujours en vacances », « être enseignant est le plus beau métier du monde », « enseigner l’anglais à des débutants demande peu de préparation », « dans certains quartiers, ça ne peut que mal se passer », etc.

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Ces images mentales génèrent chez les débutants des représentations fantasmées de ce qu’est un « bon » enseignant, un « bon » élève, un « bon » cours, de l’institution, des collègues, etc. La réalité effective en classe peut être fort différente et ce décalage peut engendrer des émotions intenses, voire douloureuses.

Afin de comprendre quelles sont les émotions les plus fréquentes chez les enseignants, ce qui les déclenche et comment elles évoluent avec l’expérience, une étude a été menée durant quatre ans, de 2016 à 2019, avec des cohortes de professeurs d’anglais novices et des enseignants plus expérimentés à différents stades de leur carrière.

L’analyse des réponses obtenues a permis d’observer que, quels que soient leur ancienneté et leur niveau de compétences, les enseignants ressentent majoritairement des émotions négatives au quotidien (57,5 % chez les enseignants novices). Cependant, si on établit un classement des émotions en fonction de leur nombre d’occurrences, la joie arrive toujours en première place, et la colère en deuxième position. Ceci signifie que le métier d’enseignant joue sur les extrêmes et n’est pas de tout repos émotionnellement parlant.

Entre doutes et colère

De manière assez cohérente, la rupture du contrat pédagogique, et plus spécifiquement le « comportement inadapté des élèves » émerge comme le premier élément déclencheur de la colère, comme on peut l’observer dans l’exemple suivant :

« J’ai ressenti de la colère avec une classe de sixième pénible aujourd’hui : bavarde, passive, travail non fait. Si l’on ne peut plus compter sur les petits sixièmes pourtant assez craintifs face à l’autorité, alors où va-t-on ? ! »

On…

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Auteur: Marie-Claire Lemarchand-Chauvin, Docteure en didactique de l’anglais (chercheure associée à l’université Sorbonne-Nouvelle, laboratoire PRISMES, SeSyLIA), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)