Pourquoi la présomption d’innocence continue-t-elle de faire débat ?

Depuis qu’ont éclaté, en 2017, les affaires Harvey Weinstein et Éric Brion (laquelle marque l’émergence du hashtag #BalanceTonPorc), de multiples révélations, individuelles, collectives, conduisent à mettre régulièrement en cause des hommes (parfois des femmes), personnalités publiques ou non, dont la culpabilité est présumée et nécessairement établie aux yeux du grand public.

À la libération de la parole, virale, spectaculaire, s’opposent alors la rigueur juridique des termes employés et le respect des principes fondamentaux de procédure pénale, au premier rang desquels figure celui de la présomption d’innocence.

Si les débats relatifs à ce principe ne sont pas nouveaux, la médiatisation des affaires et la caisse de résonance que représentent les réseaux sociaux sont assurément des facteurs de nature à accentuer les problématiques en jeu. Affaires PPDA, Bayou, Quatennens, Hulot, Norman et bien d’autres : au sein de l’espace public, on entrevoit les mutations et la moindre importance accordée aujourd’hui à ce principe ancien, dont la protection est parfois perçue comme un combat d’arrière-garde.

Dans la représentation collective, l’atteinte portée au principe juridique importe peu, puisque l’information est utile et la cause légitime. Il n’existe ainsi guère aujourd’hui de principe de procédure pénale autant contesté et délégitimé que celui de la présomption d’innocence.

L’Académie des César vient d’ailleurs d’une certaine manière de privilégier la présomption de culpabilité en décidant, pour la prochaine cérémonie, « de ne pas mettre en lumière des personnes qui seraient mises en cause par la justice pour des faits de violence ».



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Un principe de l’État de droit

Ce principe, que le professeur Jacques Pradel qualifiait de « colosse aux pieds d’argile », se trouve pourtant en apparence solidement établi, consacré par de multiples textes nationaux et internationaux.

Règle de forme qui permet de savoir sur qui pèse la charge de preuve, la présomption d’innocence est aussi une règle de fond, un droit subjectif visant à préserver la personne poursuivie des préjugés.

Au-delà de la personne mise en cause, le principe permet de maintenir la confiance du public dans l’intégrité de la justice. Or à cet égard, l’analyse doit dépasser le seul regard du juriste pour embrasser la société tout entière tant la présomption d’innocence est porteuse de valeurs essentielles. Elle correspond à un choix philosophique de notre société et à un objectif que se donne tout État de droit. La présomption d’innocence, donc, c’est un postulat.

Le tournant majeur dans la protection de ce principe résulte de la loi du 15 juin 2000, portée par la Ministre Élisabeth Guigou et qui consacre expressément ce principe au sein de l’article préliminaire du Code de procédure pénale.

Temps de la justice, temps des médias

Vingt-trois ans plus tard, force est de reconnaître que le décalage entre l’objectif poursuivi de protection et la pratique est considérable, en raison du traitement de l’information relative aux affaires pénales (de la part des médias, sur les réseaux sociaux) et de la confusion d’individus présentés comme présumés coupables, peu important, au fond, la décision judiciaire ultérieurement rendue.

C’est souligner la confrontation, sinon l’opposition, entre les vérités – judiciaire, médiatique –, mais aussi entre le temps de l’information et celui des investigations. « Le temps de la justice n’est pas celui des médias », affirmait le magistrat Pierre Truche : seul le premier est de nature à garantir la sérénité des débats, l’exercice des droits de la défense et la manifestation de la vérité.

Jérémy Da Sylva, soupçonné à tort de vol a été lynché publiquement par plusieurs individus fin décembre 2022 en région PACA.

C’est aussi un rempart nécessaire contre le risque d’erreur. Dernièrement encore, l’actualité nous rappelle l’existence d’un tel risque ; que l’on pense à l’erreur concernant Farid El Haïry, désormais réhabilité, mais accusé et condamné à tort en 2003 pour agression sexuelle et viol…

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Auteur: Pauline Le Monnier de Gouville, Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris Panthéon-Assas, Université Paris 2 Panthéon-Assas