Pourquoi l’État français entretient-il un rapport ambivalent avec les militants kurdes ?

Le nouvel attentat qui a frappé la communauté kurde parisienne du Xe arrondissement de Paris le 23 décembre 2022 marque une nouvelle meurtrissure dans l’histoire du militantisme kurde en France ; près de dix ans jour pour jour après le triple assassinat du Centre d’Information du Kurdistan dans la nuit du 9 au 10 janvier 2013.

Il suffit de seulement quelques minutes de marche pour se rendre d’une scène de crime à l’autre, du 147 rue La Fayette au Centre Culturel Ahmet Kaya du 16 rue d’Enghien. Sur le chemin, on peut également passer devant la porte de l’Institut kurde de Paris, au 106 rue La Fayette. Un petit Kurdistan au centre de la France où l’on retrouve des nombreux commerces anatoliens à chaque coin de rue jusqu’au Faubourg Saint- Denis, comme le restaurant et le salon de coiffure où s’est également rendu le tueur du 23 décembre.



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Mais le quartier est loin d’être seulement marqué par l’identité kurde, le Xe arrondissement et les artères adjacentes de la rue d’Enghien ont en effet une longue histoire d’accueil de différentes populations issues de l’immigration, turque autant que kurde par exemple. Les alentours de la porte Saint-Denis et de la Gare de l’Est représentent ainsi un carrefour multiethnique qui amène les proches des victimes de cette nouvelle tuerie à douter des motivations uniquement racistes du meurtrier.

D’une attaque à l’autre

Alors que le parquet national antiterroriste n’a pas, pour l’instant, été saisi de l’affaire, la possibilité d’une organisation de l’attaque par le gouvernement turc ne cesse de hanter les militants kurdes de France qui voient de nouveau dans cette affaire une volonté de les intimider dans leur combat, mené en exil comme au Moyen-Orient.

Le refus continu du gouvernement français de lever le secret-défense sur les notes des services de renseignement confirmant potentiellement l’implication de leurs collègues turcs dans l’attaque de 2013 – dont la manifestation de commémoration des dix ans était organisée au moment de l’attentat de 2022 –, est la raison principale de ce doute constant et illustre également toute l’ambiguïté de la France vis-à-vis du militantisme kurde.

Soutien à géométrie variable

Le lendemain de cette nouvelle attaque, les responsables du Centre Démocratique Kurde en France (CDK-F) – dont le siège est situé au 16 rue d’Enghien – ont ainsi été reçus par le ministre de la Justice, alors qu’un an plus tôt, l’une des antennes de cette organisation faisait l’objet d’une descente de police menée par la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) et conduisant à une série d’arrestations.

Accusées de « financement terroriste », les personnes incriminées se voient reprochés leurs liens présumés avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan, PKK). Cette organisation est considérée comme terroriste par les États-Unis et l’Union européenne, du fait de son engagement dans la lutte armée en Turquie, l’un des principaux piliers de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Or, depuis l’été 2014, les États-Unis comme plusieurs pays européens membres de l’OTAN, dont la France, participent à une coalition militaire visant à combattre l’État islamique en Irak et en Syrie, notamment à travers l’appui aérien et logistique apporté à l’antenne syrienne du PKK, le Parti de l’Union Démocratique (Partiya Yekîtiya Demokrat, PYD).

Frappée de plein fouet par les attentats fomentés par l’autoproclamé État islamique depuis 2015, la France a été particulièrement engagée dans ce soutien aux milices kurdes du PYD : que ce soit à travers la mobilisation du porte-avions Charles de Gaulle, la réception de plusieurs délégations des Kurdes de Syrie à l’Élysée ou encore la médiatisation sans précédent autour des Kurdes et de leurs revendications.

Ce fort soutien dont a bénéficié la cause kurde à cette époque a dès lors permis aux associations porteuses de ce militantisme sur le territoire français de jouir d’un nouveau souffle de reconnaissance et d’adhésion, autant que du témoignage de soutiens transpartisans – de Bruno Retailleau à Jean-Luc Mélenchon, en passant par Bernard Henri-Lévy – parfois inespérés au…

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Auteur: Rémi Carcélès, Doctorant en science politique, Aix-Marseille Université (AMU)