Pourquoi l’Iran se méfie-t-il autant des puissances étrangères ?

Le 27 décembre 2022, dans un discours prononcé en hommage aux victimes de la guerre Iran-Irak (1980-1988), le président iranien Ebrahim Raïssi accuse les États-Unis et les pays de l’UE d’attiser la contestation qui déstabilise le pays depuis le décès de Mahsa (Jina) Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, survenu le 16 septembre dernier, après sa violente interpellation par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés ».

Le drame, devenu le symbole de la brutalité du régime islamique, a provoqué une vague de réactions dans le monde entier. La diffusion de la contestation dans le pays, son inscription dans la durée et son prolongement par une grève générale ont fragilisé la légitimité d’un pouvoir contraint d’user d’une violence croissante pour contenir le mouvement.

Dès le mois d’octobre, le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a fait porter la responsabilité de la situation sur « l’Amérique, le régime sioniste et leurs agents ». Cette tendance à associer les maux de l’Iran aux étrangers répond à une histoire marquée par l’ingérence des puissances dans le pays depuis le Grand jeu qui opposa au XIXe siècle les impérialismes britannique et russe en Asie centrale et qui a fondé une méfiance devenue proverbiale envers les pays étrangers. Une méfiance que les autorités iraniennes, impériales comme islamiques, ne manquent jamais de mettre en avant – pour se déresponsabiliser en temps de crise, ou pour justifier une posture d’inflexibilité à l’endroit des pays tiers.

L’Iran se voit comme l’éternelle victime des grands jeux de puissance…

Aux marges des empires antiques, en position d’étape sur la route de la soie, aux portes des Indes britanniques, barrant l’accès aux mers chaudes convoitées par la Russie des tsars, plus tard poste avancé de l’édifice d’endiguement de l’URSS pendant la guerre froide, l’un des principaux producteurs d’hydrocarbures, contrôlant le détroit d’Ormuz par lequel transitent 30 % du pétrole échangé dans le monde : sa situation stratégique fait depuis longtemps de l’Iran un objet majeur de l’attention des grandes puissances, qui ne cessent d’en convoiter les atouts.

L’histoire du pays est ainsi celle d’une succession d’ingérences d’acteurs étrangers déterminés à promouvoir leurs intérêts sans tenir compte des conséquences sur l’économie et la société locales. L’implication de la Couronne britannique dans la région date du XIXe siècle. Le Royaume-Uni lutte alors contre les incursions russes dans la ceinture de territoires qui protègent le sous-continent indien. Les Britanniques promettent au shah Fath Ali, en guerre contre les Russes, une assistance militaire limitée en échange de clauses imposant la possibilité d’une ingérence dans les affaires intérieures de l’Iran si elle est jugée nécessaire.

Le lion britannique (à l’ours russe) : Regarde ! Toi tu peux jouer avec sa tête et moi je peux jouer avec sa queue, et nous pouvons tous les deux caresser le creux de son dos. Le chat persan : Je ne me rappelle pas avoir été consulté sur la question.
Edward Linley Sambourne, « Un chat inoffensif et indispensable », _Punch_, 2 octobre 1907

Le Grand jeu enracine dans la population « une attitude de méfiance et d’hostilité à toute entreprise étrangère », selon Arthur Hardinge, diplomate britannique à Téhéran. La fragilité financière de l’Iran le conduit à octroyer des concessions économiques. En 1872, le transfert au magnat britannique Julius de Reuter (fondateur de l’agence Reuters) du contrôle de l’ensemble des routes, télégraphes, usines, sites d’extraction et travaux publics suscite une vive réaction dans les rangs du clergé. Les mollahs dénoncent l’origine juive du bénéficiaire et décrivent les infrastructures comme une œuvre de Satan. Le tollé que soulève le projet conduit le shah à se raviser.

Vingt ans plus tard, l’octroi d’une nouvelle concession sur la production, la vente et l’exportation du tabac suscite une opposition massive dynamisée par les mollahs, indirectement affectés par la réforme et arc-boutés sur la défense les intérêts nationaux contre les ingérences étrangères.

Cette politique de reddition de souveraineté trouve son aboutissement avec la signature…

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Auteur: Sylvain Gaillaud, Docteur en histoire contemporaine, Université Rennes 2