Pourquoi parle-t-on de « diplomatie des otages » ?

Téhéran, novembre 1979 : une cinquantaine de diplomates américains sont détenus 444 jours durant, dans des conditions pénibles ; leur libération fait alors l’objet d’un « monnayage » via la restitution par les États-Unis de 3 milliards de dollars d’avoirs iraniens gelés dans les banques américaines et la promesse de ne pas poursuivre l’Iran devant la Cour internationale de justice.

Quatre décennies plus tard, sept ressortissants français ou franco-iraniens sont détenus en Iran (pour des accusations d’activités illicites dont on peut douter du bien-fondé) ; ces derniers mois, les médias se sont également fait l’écho de la situation dramatique du Belge Olivier Vandecasteele dans ce même pays, lequel vient d’être condamné à une peine de prison de 28 ans par un tribunal iranien, à l’issue de ce qui est qualifié de « simulacre de procès » par la famille de l’intéressé.

Pour rappel, le Parlement belge avait approuvé le 20 juillet dernier un projet de loi qui contenait cinq traités internationaux de transfèrement, dont un avec l’Iran. Ces traités permettent de transférer entre les deux pays des personnes condamnées afin d’y purger leur peine. La Cour constitutionnelle belge vient de suspendre l’application du traité entre la Belgique et l’Iran au motif qu’il n’offre pas de bases légales suffisantes.

La Cour estime que l’État belge « sait ou doit savoir » que si le diplomate Assadollah Assadi, condamné en Belgique en 2021 à 20 ans de prison pour une tentative d’attentat terroriste contre un rassemblement d’opposants iraniens près de Paris, retournait en Iran, il n’aurait pas à exécuter sa peine. À noter que le diplomate iranien a toujours réfuté les accusations à son encontre. Beaucoup font le lien entre la condamnation du diplomate iranien et l’arrestation le 24 février, puis la condamnation du ressortissant belge.

Ces cas – qui ne sont pas uniques, loin de là, dans le monde actuel, comme nous le verrons – sont autant d’exemples de « diplomatie des otages » : un État déploie son système de justice pénale pour détenir un étranger et utilise ensuite le prisonnier comme levier dans la poursuite d’objectifs de politique étrangère.

Dès l’Antiquité

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est une pratique ancienne. Les ambassadeurs pouvaient, dès l’Antiquité, servir d’otage si un différend éclatait entre deux royaumes ou deux maisons princières. En fait, jusqu’au XVIIIe siècle, l’otage devient le garant du respect d’un accord de paix, mais aussi l’objet d’un marchandage financier pour mettre fin à une guerre.

Les royaumes et empires ont pratiqué ce genre de détention arbitraire à une époque où la notion d’immunité diplomatique était toute relative. On n’utilisait alors pas encore la dénomination d’« État voyou » pour fustiger ceux qui jetaient ainsi les diplomates dans leurs geôles.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Aujourd’hui, cette pratique est évidemment décriée, et on a cru qu’elle était l’apanage d’États comme l’Iran ou la Corée du Nord.

Mais la détention de la basketteuse américaine Brittney Griner à Moscou cette année a été qualifiée de « diplomatie des otages » par la Maison Blanche – qualification rejetée par le Kremlin, qui a accusé la sportive d’avoir dissimulé une substance interdite dans ses bagages. La ficelle était assez grosse et il est vite apparu que Brittney Griner allait servir de monnaie d’échange.

Des détenus ou des otages ?

Juridiquement, les victimes de la diplomatie des otages sont des détenus. Fonctionnellement, ce sont des otages.

Cette dualité inhérente rend la diplomatie des otages particulièrement frappante – et difficile à contrer – en raison de la manière dont elle brouille les catégories établies de détention, les normes de comportement des États et l’État de droit.

La diplomatie des otages partage plusieurs caractéristiques essentielles avec la prise d’otages. Dans celle-ci, les victimes et les cibles sont des personnes distinctes, ce qui permet d’exercer une influence : la victime est l’otage, tandis que la cible est le destinataire des demandes (l’État d’origine de la victime), qui a le pouvoir de…

La suite est à lire sur: theconversation.com
Auteur: Raoul Delcorde, Ambassadeur honoraire de Belgique, Professeur invité, Université catholique de Louvain (UCLouvain)