Produits monastiques : une communication qui repose sur la discrétion

Certaines marques mènent des campagnes de communication actives sur de nombreux supports et s’affichent en grand sur les panneaux publicitaires ou sur les écrans de télévision ; d’autres optent pour la discrétion, voire le silence. Cela peut être par choix marketing, comme la marque de prêt-à-porter haut de gamme The Row créée en 2006 par les sœurs Ashley et Mary-Kate Olsen ; cela peut aussi être par contrainte financière ou par conviction.

Ces initiatives silencieuses contredisent les pratiques et théories du storytelling selon lesquelles les marques devraient raconter une histoire et s’incarner auprès des consommateurs par des personnages, des lieux, des repères temporels, des intrigues, des musiques, des paroles…

À l’heure où le mot « sobriété » a pris une place centrale dans le débat public, y compris dans le monde du commerce avec son marketing parfois cacophonique, nous avons poursuivi notre analyse du cas atypique et extrême des produits monastiques. Comment les consommateurs compensent-ils la discrétion, voire le silence, d’une marque ou d’un produit ?

Aujourd’hui en France, quelque trois millions de personnes achètent des biscuits, savons, bières, céramiques et autres produits vendus par les monastères. Ce marché d’environ 80 millions d’euros est approvisionné par 200 communautés monastiques contemplatives qui ont créé ensemble la marque collective Monastic. Ce réseau de monastères petits producteurs vivant en divers endroits, en clôture et en silence, est discret par nature, et la communication commerciale, tant des ateliers monastiques que de leur marque, est quasi inexistante.

Nos recherches ont cependant montré que cette discrétion, à la fois choisie par conviction et subie par manque de moyens, pousse les consommateurs à créer eux-mêmes leur propre histoire. Ceux-ci se complaisent dans une vision idéalisée d’autarcie médiévale où le bon moine-artisan fabrique ses produits avec temps et amour. L’analyse des histoires racontées par les consommateurs montre également que, plutôt que d’acheter un produit d’un monastère spécifique, ils revendiquent l’achat d’un produit issu des monastères en général, comme si ce produit venait d’un monde sublimé, hors-sol.

Cette asymétrie entre un discours rare, sobre, rationnel, et le narratif construit par un consommateur imaginatif et bavard contredit la littérature sur la communication. Cette contradiction nous incite à chercher plus loin, pour comprendre quelles sont les ressources mobilisées par les consommateurs lorsqu’ils fabriquent leur propre narration déconnectée du réel.

Contaminé, mais comment ?

Pour cadrer cette recherche, nous nous sommes référés au concept anthropologique de contagion, souvent mobilisé en marketing. Par ce phénomène, les objets acquièrent une essence « spéciale » issue de leur passé, et lieux, personnes, symboles et autres odeurs en sont une source importante.

Certaines de ces sources sont travaillées, parfois créées de toutes pièces par les marques : on les qualifie d’« intrinsèques au produit ». Il peut s’agir du patrimoine de la marque, de son aura, son authenticité, l’atmosphère du point de vente… Tout cela fait partie de la stratégie de positionnement.

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D’autres sources de contagion sont cependant indépendantes des calculs marketing. Ce sont les sources « extrinsèques » comme le terroir ou l’héritage culturel. Elles préexistent au produit et se situent en dehors du périmètre de la marque.

Celles-ci nous intéressent particulièrement dans le cas des produits monastiques, qui, sans stratégie de communication, amènent les consommateurs à créer eux-mêmes des histoires très riches. Alors que nous constatons que pays d’origine, terroir et héritage culturel sont tous trois extrêmement liés à un lieu géographique donné, les narrations des consommateurs, au contraire, ne se réfèrent pas à un territoire particulier.

Davantage qu’un terroir

L’analyse approfondie des discours des consommateurs de produits monastiques nous permet ainsi de proposer une nouvelle source extrinsèque de contagion, le Woo, pour « World of Origin », le monde d’origine en français, d’origine du produit telle…

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Auteur: Marie-Catherine Paquier, Enseignant-chercheur en marketing, EBS Paris