Programme de désordre absolu

C’est à une œuvre paradoxale que nous convie Françoise Vergès : en effet, comment « décoloniser » une institution, le musée, qui s’avère, au fil de l’essai, constituer l’un des piliers – et solide ! – de l’ordre colonial ? Elle-même a essayé.

C’était à La Réunion, au début des années 2000. Elle le raconte dans le chapitre « Un musée sans objets ». La Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise (MCUR) était un très beau projet, initié grâce à un contexte politique plutôt favorable. Une coalition de forces de gauche étant à la tête de la Région Réunion, celle-ci apporte son soutien qui emporte avec lui celui de l’Europe. Sortir enfin de l’imagerie coloniale et de l’invisibilisation des dominés, en premier lieu des esclaves, promouvoir un récit centré sur l’Océan Indien et non plus sur la seule métropole, se départir du fétichisme des objets et de la culture visuelle, d’autant plus quand on sait qu’objets et images sont ceux et celles des colonisateurs (ceux des colonisés, et a fortiori des esclaves, y compris leurs dépouilles mortelles, ayant tout simplement disparu) et réhabiliter l’art de l’oralité et des contes, critiquer en acte la séparation nature-culture en concevant une architecture ouverte, tels étaient quelques-unes des lignes de force de cette MCUR. Las, une élection, en 2010, qui renversa la majorité à la Région, suffit à l’enterrer… Retour au business as usual, c’est-à-dire, en l’occurrence, au multiculturalisme et à l’antiracisme libéral de l’État français[« La thèse de ce livre, écrit son auteure en introduction, s’inscrit dans le mouvement irrésistible de contestation du musée […] les luttes de Black Lives Matter, celles contre l’occupation de la Palestine, l’islamophobie, les féminicides, la transphobie et contre l’état de guerre permanente nourrissent les débats autour de la représentation. C’est un…

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Auteur: dev