Publicité et monuments historiques : pourquoi c’est un casse-tête juridique

Le château de Versailles, le Musée du Louvre, l’Arc de Triomphe, l’Opéra Garnier, le château de Chambord, le Mont-Saint-Michel, le pont du Gard, la cathédrale Notre-Dame… En dehors de leur classement au titre des Monuments historiques et de leur inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité (Unesco), ces biens culturels font régulièrement l’objet de divers usages commerciaux : leur image est fréquemment employée, apposée sur le packaging de produits ou reproduite dans le cadre de publicités, sous forme de photographie, de vidéo ou de dessin.

Juridiquement, cela est tout à fait possible. Les œuvres de l’esprit, dont font partie les édifices architecturaux, sont protégées par le droit d’auteur durant une durée déterminée (la vie de leur auteur, en l’occurrence l’architecte, et les 70 ans suivant sa mort). Passé ce délai, les œuvres rejoignent le domaine public.

Par exemple, il n’est pas possible de reproduire librement l’image de la pyramide du Louvre ou de l’Opéra Bastille à des fins commerciales, qui sont des créations récentes encore soumises au droit d’auteur.

Mais dès que l’œuvre tombe dans le domaine public – par exemple en 2090 pour la pyramide du Louvre (son auteur, I.M. Pei étant décédé en 2019) –, tout un chacun peut à loisir puiser dans ce fonds commun et l’utiliser pour toute finalité, y compris commerciale. Une entreprise peut donc utiliser l’image d’œuvres tombées dans le domaine public et la reproduire sur divers supports.

La question de la reproduction des biens a été abordée il y a vingt ans et a donné lieu à un débat important devant les juridictions.

Le statut juridique de l’image des biens

Deux grands arrêts ont défini le sort réservé à l’image des biens et les conditions dans lesquelles des tiers pouvaient ou non les reproduire.

La première décision portait sur l’image du Café Gondrée, monument connu pour avoir été le premier à être libéré par les Alliés en 1944. La question posée était de savoir si son propriétaire disposait d’un monopole pour reproduire l’image du monument et l’exploiter commercialement.

La Cour de cassation répondit par la positive. Elle alla plus loin en posant un principe d’exclusivité au profit du propriétaire :

« Le propriétaire a seul le droit d’exploiter son bien, sous quelque forme que ce soit. »

Cette solution a provoqué de multiples réactions, dont de vives critiques auprès des juristes de propriété intellectuelle, car l’instauration d’un droit exclusif sur l’image du bien revenait à faire renaître un droit censé être éteint. Ce n’était plus l’auteur de l’œuvre qui en était bénéficiaire, mais le propriétaire du support de l’œuvre.

La Cour de cassation est revenue sur sa décision et a opéré un revirement de jurisprudence :

« Le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; qu’il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal. »

Un trouble anormal s’apprécie au cas par cas, mais il peut s’agir par exemple d’un trouble de voisinage, tel que l’attroupement de visiteurs sur un site dont l’image a été reproduite et qui a engendré une surfréquentation. Il peut également s’agir d’un trouble commercial, par exemple si l’utilisation de l’image par deux sociétés concurrentes crée une confusion dans l’esprit du public.

Ainsi, le propriétaire ne dispose plus d’un monopole sur l’image de son bien, il ne peut s’y opposer qu’en faisant la démonstration d’un « trouble anormal ». Un usage commercial en tant que tel, qui ne serait par exemple pas de nature à générer un tel risque de confusion pour le consommateur, ou pas dégradant, n’en constitue pas un. Il en va ainsi de l’état du droit depuis cet arrêt de 2004.

Le sujet de l’utilisation commerciale de l’image des biens est réapparu peu de temps après, en particulier pour l’image de biens culturels appartenant à des personnes publiques.

Un nouveau regard sur l’image des biens culturels publics

Un nouveau regard est porté sur ces pratiques. Si auparavant, les utilisations commerciales des grands monuments français étaient perçues comme des emprunts purement illustratifs, elles sont aujourd’hui appréhendées différemment, comme une captation…

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Auteur: Cécile Anger, Doctorante en droit des marques culturelles, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne