« Qu’adviendra-t-il des incertaines ? ». À propos de Chavirer, de Lola Lafon

Lola Lafon, Chavirer, Actes Sud, 2020.

« Ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature ». Cette célèbre citation attribuée à Gide a trop souvent été inversée : il faudrait du cynisme cru, des déballages obscènes, des descriptions trashs pour faire littérature. Et nous pourrions penser, en lisant les premiers chapitres de Chavirer, qu’encore une fois, nous n’échapperons pas à l’abjection : l’histoire n’est-elle pas celle d’une adolescente de treize ans, Cléo, qui, croyant avoir des chances d’être sélectionnée par une prestigieuse fondation pour devenir danseuse, tombe dans un guet-apens sexuel et entraîne une multitude d’autres enfants avec elle ? Mais Lola Lafon ne cède à aucune facilité. Si elle exhibe la laideur cachée derrière les faux-semblants clinquants d’une société de consommation et de compétition, ce n’est pas pour se complaire dans le sordide, mais pour aller chercher une autre beauté, une beauté fragile, ténue, mais une beauté qui tient bon malgré tout.

Chavirer, un roman militant ? Un roman de « bons sentiments » ? C’est sans nul doute un roman qui affronte sans ciller les débats contemporains : le « moment me too » (« mitou », comme le dit une des protagonistes), ses déclinaisons en termes de genre, de classe et de race. C’est un roman qui aborde la question des violences sexuelles, mais aussi du racisme et de l’antisémitisme. Comment Lola Lafon arrive-t-elle alors à ne pas tomber dans un didactisme intersectionnel pesant ?

Tout d’abord par le choix de ses personnages, par le dessin subtil de la silhouette de Cléo. Cléo est une « incertaine », elle fait partie de celles « qui ne s’en sortent pas, ou laborieusement sans gloire ». Son déchirement nous tend le miroir de nos malaises : « ce n’est pas ce à quoi on nous…

Auteur : redaction
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