Qualité contre quantité, deux univers irréconciliables — Dominique MUSELET

Nous vivons, comme chacun le sait, sous le règne de la quantité dans une société gouvernée par les nombres. Nous sommes dirigés, éduqués, soignés, contrôlés, en un mot gérés, à coup de statistiques, comme si nous étions des marchandises. Il n’en a pas toujours été ainsi. Ce changement de « mentalité », comme l’appelle Alfred W. Crosby dans son maître ouvrage La Mesure de la réalité, a accompagné et permis l’essor du capitalisme à l’époque des « grandes découvertes » :

« Au cours du Moyen Âge et de la Renaissance, un nouveau modèle de réalité a surgi en Europe. Un modèle quantitatif a commencé à remplacer l’ancien modèle qualitatif. Copernic et Galilée, les artisans qui apprenaient à fabriquer de bons canons avec régularité, les cartographes qui dessinaient les terres nouvellement abordées, les bureaucrates et les entrepreneurs qui dirigeaient leurs empires et les compagnies des Indes orientales et occidentales, les banquiers qui recueillaient et contrôlaient les flux de richesses nouvelles : tous ces gens concevaient la réalité en termes quantitatifs avec plus de cohérence que tous les autres membres de leur espèce. »

Ce « nouveau modèle » a permis à l’Occident de dominer la planète, de lui imposer sa « mentalité », et d’assurer la prospérité matérielle de ses populations aux dépens du reste du monde. Les peuples occidentaux, gavés de frigidaires, de télévision et de tourisme de masse ne se posaient pas de question. Il n’avait aucune conscience que leur confort reposait sur l’exploitation séculaire et systématique du « Tiers-monde ». Mais la mondialisation a sonné la fin de la récréation et le paradis de la quantité vire au cauchemar de la rareté et du manque (sauf pour un petit nombre qui accapare les richesses) avec des élites discréditées, qui se raidissent pour garder leur pouvoir et leurs privilèges.

Alain Supiot a dénoncé cette dérive totalitaire technocratique dans La gouvernance par les nombres : « Nous entrons aujourd’hui pleinement dans l’ère de l’imaginaire cybernétique, qui répond au vieux rêve occidental d’une harmonie fondée sur le calcul. Un discours qui vise la réalisation efficace d’objectifs mesurables plutôt que l’obéissance à des lois justes, ne laissant aux hommes, ou aux États, d’autre issue que de faire allégeance à plus fort qu’eux, au mépris du droit social », lit-on dans le texte de présentation de son livre.

Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, des précurseurs de l’écologie…

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Auteur: Dominique MUSELET Le grand soir