Quelle justice pour les ministres ?

Seule juridiction habilitée à examiner les infractions commises dans l’exercice des fonctions ministérielles, la Cour de justice de la République (CJR) est saisie de deux dossiers sensibles en cette rentrée 2022.

D’une part, l’ancien premier ministre Edouard Philippe récemment placé sous statut de témoin assisté doit être entendu par sa commission d’instruction – l’instance chargée d’établir la réalité des infractions préalablement à tout jugement – pour des faits présumés de « délit d’abstention de combattre un sinistre » et de « mise en danger de la vie d’autrui » en lien avec sa gestion de la crise sanitaire. D’autre part, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a de son côté été renvoyé par cette commission d’instruction devant la formation de jugement de la CJR – l’instance chargée de condamner ou d’acquitter les ministres –, pour des faits présumés de prise illégale d’intérêts – à raison d’enquêtes administratives ordonnées contre des magistrats avec qui il avait été en conflit comme avocat.

S’il n’est pas inédit de voir un ancien premier ministre convoqué pour audition par la Cour de justice, c’est bien la première fois qu’un membre du gouvernement en fonction, qui plus est ministre de la Justice, est renvoyé devant sa formation de jugement.

Or, les avocats du garde des Sceaux s’étaient dits sans « aucune illusion sur le sens de la décision » à venir le concernant, comme s’il n’était pas possible de faire confiance à la Cour pour faire preuve d’impartialité. D’où vient ce soupçon ?

Une institution créée de toute pièce en 1993

Alors qu’il était admis depuis le vote de l’article 12 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 que les victimes d’infractions imputables à un ministre en exercice pouvaient s’en plaindre devant le juge pénal, la Cour de cassation avait considéré en 1963 que seuls les parlementaires pouvaient les mettre en cause à raison de crimes ou délits accomplis dans l’exercice de leurs fonctions devant la Haute Cour de justice.

La Cour de Justice de la République, France Info/INA.

Des parties civiles ayant adressé une pétition au Sénat les 27 juillet et 20 août 1992 contre le blocage qu’engendrait à leurs yeux cette solution, le Parlement réuni en Congrès décidait de voter la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 créant la CJR pour trouver le bon équilibre entre le droit légitime des victimes à pouvoir voir l’auteur de leur dommage condamné ; et le droit tout aussi légitime des ministres à voir les poursuites les visant instruites et jugées aux termes d’un procès équitable.

Concilier deux visions antagonistes de la responsabilité ministérielle

Il est vrai que l’élaboration de la révision de 1993 a vu s’affronter deux conceptions…

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Auteur: Fabien Bottini, Professeur des Universités en droit public, Le Mans Université