Quelle place pour la sociologie face aux défis écologiques ?

Dans les débats sur les enjeux écologiques de l’heure, les sociologues sont pour le moins discrets ; quand ils sortent de leur réserve, ils s’évertuent le plus souvent à analyser les inégalités liées aux modes de vie, tantôt en soulignant le décalage entre l’adhésion des classes aisées aux idées écologistes et la réalité de leurs pratiques, en matière d’empreinte carbone notamment, tantôt en examinant les conditions de possibilité d’une écologie « populaire ».

Cette relative pusillanimité peut se comprendre à la lumière de ce que l’on appelle communément la tradition sociologique. Lorsque la discipline s’institutionnalise au XIXe siècle, les sociologues sont surtout préoccupés par l’effritement de l’ordre social qui sous-tendait les sociétés d’Ancien Régime et lui cherchent un substitut ne relevant ni de l’utilitarisme ou de l’intérêt individuel que promeuvent les économistes, ni d’un quelconque ordre des choses, naturel ou divin, duquel, justement, les sociétés modernes se sont extirpées.

En soulignant en particulier la force des facteurs d’intégration sociale, tels que la division du travail, ils contribuent alors à théoriser les liens d’interdépendance et la solidarité qui existent entre les membres d’une société.

Un monde sans fin, vraiment ?

Mais ce faisant, les sociologues vont œuvrer, volens nolens, en faveur du progrès – social, économique, technique, etc. – qui constitue l’essence même des sociétés modernes. Et s’ils en sont des interprètes exigeants et critiques, en plaidant pour une plus forte redistribution des fruits de la croissance ou une plus grande fluidité sociale, les sociologues se montrent finalement assez insensibles aux dégâts que peut engendrer cette dynamique du progrès tous azimuts.

À telle enseigne que c’est seulement quand cette dynamique commence à se gripper, dans les années 1970, que certains sociologues, aux États-Unis, dénoncent les lacunes ou les points aveugles de la plupart des théories : quid, en effet, du reste du vivant et des limites qu’il impose à la modernisation des sociétés ? Peut-on raisonnablement considérer que nous habitons « un monde sans fin » doté de ressources inépuisables ? Aussi cruciales soient-elles, de telles questions ont, de fait, été négligées par la théorie sociologique mainstream, focalisée qu’elle était sur l’émancipation des individus et leur…

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Auteur: Paul Cary, Sociologue, Université de Lille