Qui-vive ?

François Tison est l’auteur de Farcissures (Allia, 2012), monographie déréglée de l’ordure et ses limites, et entre autres textes chez lundimatin, Échantillon gratuit (2015), microrécits de slogans publicitaires et d’éléments de langage politique. Il vient de publier Qui-vive ? aux éditions Excès en collaboration avec l’artiste franco polonaise Virginie Piotrowski. En voici une petite présentation et quelques bonnes feuilles.

La ville patrimoniale, toujours déjà en ruine et restaurée : son image de marque se vend.

Par un temps d’entre-deux, d’après-guerre, d’avant-guerre, de catastrophe en cours, trois gueules cassées se rencontrent et se rétablissent à la marge de ce paysage, chez eux dans les friches et les bâtiments à l’abandon.

La violence sourde est partout, civile et militaire, elle patrouille, éclate à l’occasion. Elle les a frappés tous les trois, Tav défiguré par une grenade, Gousse à la blessure inconnue. Le narrateur pousse son fauteuil, assigné à un devoir de mémoire immédiate et d’autosurveillance. Car s’ils sont victimes, miraculés, c’est aussi qu’ils sont coupables, ils devront rendre compte.

Il neige des cendres roses.

Nous avons descendu la place. Une petite peluche oubliée, tombée d’une poussette et ramassée par un autre passant avait été coincée entre le poteau d’un candélabre éventré et l’un des câbles sortis de la trappe de maintenance inutile. J’avais mes mitaines pour freiner, mais Tav ou Gousse m’a détourné et m’a poussé vers les petits mamelons installés là autrefois pour tromper la platitude de l’espace, la carte de la fontaine ayant déjà été jouée, ou pour amuser les enfants à vélo, à trottinette, un élan de quelques mètres, pour les plus habiles un petit saut, une figure en l’air, mais l’asphalte ou le béton, je ne sais plus, avait été depuis longtemps crevé par les arbustes lointains d’alors devenus vastes et forts dessus comme dedans, ou par des cham­pignons puis des herbes, de sorte quoi qu’il en soit qu’ils ont peiné à m’y percher et que les roues se prenant dans ces crevasses, l’assise du fauteuil est restée coincée au sommet du monticule, qu’ils ont eu le plus grand mal à m’en sortir mais qu’ils ne m’ont, malgré mes invita­tions désespérées, pas abandonné là. Ils savaient comme moi que je les ralentirais, que traîner un tel poids avec eux compromettrait mortellement leurs chances de survie et par là leur mission sacrée, mais Tav a dit je dis pas arrête ton char, mais vraiment c’est pour sauver les apparences de ce qu’il te reste de…

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Auteur: lundimatin