Races et histoires

« Hébreu – Est hébreu tout ce qu’on ne comprend pas. »
Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues

En matière de sciences humaines, la recherche universitaire anglo-saxonne est traversée par divers courants, certains heureux, d’autres moins. Relayant notamment les travaux d’historiens français, par exemple Fernand Braudel, les productions qui relèvent de la world ou global history sont souvent d’une grande qualité et c’est dans ce corpus que les débats contradictoires entre libéraux et marxistes sont les plus stimulants. En revanche, découvrant certaines productions qui touchent aux minorités sexuelles ou raciales, il est parfois difficile de ne pas conclure que l’enfer est décidément pavé de bonnes intentions.

Le livre de Reza Zia-Ebrahimi paru aux éditions Amsterdam, Antisémitisme et islamophobie. Une histoire croisée, se propose de retracer l’histoire, depuis le Moyen-âge jusqu’à nos jours, d’un « racisme » visant tant les juifs que les musulmans. L’intérêt d’une telle étude, œuvre d’un universitaire anglais d’origine iranienne, est a priori indubitable, notamment dans une conjoncture idéologique française qui voit s’opposer deux courants : les uns dénoncent le « nouvel antisémitisme » et minimisent l’islamophobie ; les autres dénoncent l’islamophobie et minimisent la judéophobie. Reza Zia-Ebrahimi, lui, met au jour l’histoire croisée de ces deux formes de « racisme » dont il fait remonter l’origine au Moyen-âge, étant pour sa part convaincu que « La reconnaissance de l’existence pré-moderne de l’idée de race est d’une importance historiographique capitale » (p. 51). Mais pourquoi donc est-ce d’une « importance historiographique capitale » ? A le lire, on ne voit pourtant pas ce que l’on gagne, en termes de pensée, à qualifier de « racismes » la judéophobie et l’islamophobie médiévales. C’est que le gain, en effet, n’est pas de l’ordre de la pensée, mais de la morale, « raciste » étant un qualificatif devenu, de nos jours, quasi universellement condamnable et apparemment bien plus compromettant que « xénophobe ». Donc l’auteur y tient : il importe de qualifier de « raciste » le préjugé chrétien contre les juifs et les musulmans dès le Moyen-âge. Le problème, c’est qu’en règle générale, et singulièrement en sciences humaines, le moralisme est de bien mauvais augure.

Zia-Ebrahimi a bien sûr raison de pointer les parallèles, les proximités, voire les symbioses entre la figure du juif et celle du musulman dans l’imaginaire chrétien de la Reconquista, et on lui…

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Auteur: lundimatin