Recours à la justice contre les erreurs médicales au Sénégal: un couteau à double tranchant

En Afrique, chaque année, au moins 1,16 million de nouveau-nés meurent, pourtant deux tiers de ces bébés pourraient être sauvés grâce à une couverture de 90 % d’interventions faisables et factuelles.

On note de plus en plus la perte de croyance en la fatalité face à la mortalité maternelle et néonatale. Au Sénégal, cela se traduit par des manifestations d’indignation à la suite de décès maternels. Faisant preuve d’impartialité sur ces « ratés médicaux », le ministère de la Santé et de l’Action sociale a initié des audits pour identifier les causes de ces décès survenus à l’hôpital.

Malgré cela, ces déconvenues ont fini par atterrir dans le champ judiciaire. Les gynécologues, anesthésistes et sages-femmes respectivement mis en cause ont été systématiquement placés en garde à vue, pour motif de protection contre d’éventuelles invectives venant des familles victimes, en attendant la fin de l’instruction des enquêtes policières. Si cette action judiciaire satisfait, peu ou prou, les attentes des populations, elle contribue parallèlement à affaiblir la confiance en soi des professionnels de santé.

Ainsi, les professionnels de santé sont fréquemment mobilisés pour apporter leurs concours à la justice, mais il est aussi des situations dans lesquelles ils sont mis en cause devant les tribunaux partout dans le monde.

En quoi la judiciarisation des soins est-elle un couteau à double tranchant ? Quels sont les répercussions professionnelles et les effets sur l’offre de soins ?

Nous identifions ici les risques liés à la judiciarisation des soins et balisons la voie au dialogue constructif entre les parties prenantes de l’hôpital sénégalais.

Relations entre populations et structures de santé

À la suite du constat du non-recours des populations indigènes à la médecine biomédicale dans les années 1970-1980, des forces vives de la population sont invitées à siéger au sein des instances des structures de santé pour informer les populations, renforcer l’offre de soins et répondre à la demande à travers la mise en place de l’Initiative de Bamako (IB).

Le décret de 2018 donne naissance aux Comités de développement sanitaire (CDS),jadis appelés Comités de santé, sans changer substantiellement sa composition. Mais ces acteurs — enseignants, leaders locaux, etc. — nommés par les maires des communes ont tendance à s’arrimer à l’organigramme des structures de santé. Ils sont ainsi perçus par les populations comme étant un segment du personnel soignant, plus sous la coupole des professionnels de santé qu’un vecteur d’augmentation du pouvoir d’agir des usagers.

Ce positionnement organisationnel les délégitime comme porte-voix des populations au sein des structures de santé. Dans la conscience collective des populations, les membres des CDS ne défendent que modestement leurs intérêts au sein de ces instances. Leurs prises de position en cas d’incidents entre soignants/soignés sont jugées arbitraires, matérialisant un aveuglement face aux inégalités sociales d’accès à la santé. Il en va de même pour les acteurs communautaires qui, investis dans la volonté d’être insérés dans la profession à travers des mobilisations pour être recrutés, laissent un vide dans la médiation sociale au sein des structures de santé. L’orientation stricto sensu des acteurs communautaires (CDS et relais locaux) vers l’hôpital n’a finalement qu’un apport modeste dans l’amélioration du recours aux soins par les populations.

Recours tardif aux soins

La pyramide de santé qui va de la case de santé à l’hôpital en passant par le poste et le centre de santé ne retrace pas toujours le parcours de nombreux patients. Ce parcours commence souvent par le guérisseur de la communauté, se prolonge et se « termine » avec lui en dépit de certaines incursions dans les établissements de santé. Un tel parcours, reposant sur la personnalisation des relations de soins, pose au moins deux difficultés majeures pour les professionnels de la santé. La première renvoie au temps mis dans l’étape du guérisseur ainsi que la médication y afférente (accouchement à voie basse pour recouvrir sa féminité) qui peut compliquer davantage la situation du patient, complication imputée très souvent à l’étape suivante que constitue la structure de santé.

La seconde renvoie à une

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Auteur: Abdoulaye Moussa Diallo, Sociologue, Université de Lille