Réforme des retraites : des craintes pour l’emploi des seniors à nuancer

Lors de son élection en mai 1981, le président François Mitterrand proposait aux Français de partir en retraite à taux plein dès 60 ans (contre 65 auparavant), en n’ayant cotisé que 37,5 années. Pour les jeunes qui avaient alors la vingtaine, « l’acquis social » semblait crédible. Cette génération arrive aujourd’hui à l’âge de la retraite et sera concernée par les nouvelles conditions proposées par le président Emmanuel Macron et le gouvernement de la Première ministre Élisabeth Borne. Un certain « réalisme » a succédé au « rêve de 81 ».

Ceux nés en 1963 et ayant commencé à travailler avant 23 ans seraient partis cette année en retraite si rien n’avait changé depuis Mitterrand. Pour eux, la réforme mise en place sous la présidence de Nicolas Sarkozy a décalé à 62 ans l’âge légal de départ puis la réforme Touraine est venue augmenter leur durée de cotisation à 42 ans, durée déjà relevée en 1993, 2003 et 2012. La réforme Touraine visait 43 ans pour tous à partir de 2035 mais le projet de loi actuel ramènerait l’échéance à 2027.

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Avec l’application progressive de la réforme actuellement en discussion, ils ne pourront quitter la vie active qu’en 2026, âgés de 63 ans et en ayant cotisé au moins 43 années. Et encore, cela ne vaudrait que pour ceux ayant commencé à travailler avant 20 ans. Pour les autres, nés en 1963 mais qui auraient rejoint le marché du travail entre 21 et 23 ans, ce n’est qu’entre 2027 et 2029 qu’ils atteindront le nombre minimal d’annuités pour avoir le taux plein.

Une question d’anticipation

Les ajustements proposés par le gouvernement répondent à une tension très simple à mesurer et indépendante des précédentes réformes : en 1981, il y avait environ 3,03 personnes âgées de 20 à 59 ans pour une personne de 60 ans et plus ; aujourd’hui, ce chiffre n’est plus que de 1,8. Ce vieillissement de la population rend difficile la gestion d’un système basé sur la solidarité intergénérationnelle si le curseur actif/inactif se situe à 60 ans. Le ratio est en revanche de 2,7 si on le monte à 65 ans.

L’évolution démographique pèse naturellement sur les comptes. Sans les différentes réformes mises en place à partir de 1993, la part des ressources (PIB) consacrées aux retraites aurait été de 17 % en 2023 au lieu de 12,6 %. À l’horizon des 25 prochaines années, cela conduit tout de même à un déficit moyen de 0,6 % du PIB par année selon les projections établies par le Conseil d’orientation des retraites (COR).

Reculer l’âge de la retraite ne s’avère cependant pertinent que si les personnes qui auraient pu quitter la vie active se retrouvent en emploi et non au chômage. Remplacer des retraités par des chômeurs plutôt que par des salariés cotisants ne résoudrait pas l’équation budgétaire. Beaucoup s’inquiètent d’ailleurs, en France, du taux de chômage des seniors déjà plus élevé que la moyenne européenne.

Cette « peur » d’une perte d’employabilité des seniors semble en fait avoir partie liée à un « effet de bord ».

Avec une retraite à 60 ans comme norme sociale, salariés comme employeurs anticipent un départ dans les 5 ans pour une personne de 55 ans. Si la norme sociale devient 64 ans, cette personne de 55 ans peut encore rester dans la même entreprise presque dix ans. Or, dix ans, c’est la durée moyenne d’un contrat entre un employé et un employeur. Ce sont donc les croyances et les anticipations sur la durée d’une relation d’emploi qui motivent un investissement dans cette relation.

Avec un allongement de la durée des contrats de travail des seniors, induit par le recul de l’âge de départ en retraite, il est alors possible d’expliquer la hausse, à un âge donné, de la chance d’être en emploi, plutôt qu’au chômage, depuis que les réformes reculent l’âge de départ en retraite.

Évolutions parallèles

Avec un changement dans les paramètres d’âge et de durée de cotisation, l’effet de bord ne fait que se décaler. Il y a, de fait, toujours des gens « proches » de la retraite, quel que soit l’âge légal de départ. La situation « ni, ni », ni en emploi, ni en retraite, qui…

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Auteur: François Langot, Professeur d’économie, Chercheur à l’Observatoire Macro du CEPREMAP, Le Mans Université