Réforme des retraites : les syndicats peuvent-ils reprendre la main ?

La réforme des retraites se présente comme le premier test social de grande envergure du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Après plusieurs semaines d’attente, l’annonce officielle du contenu de la réforme, le 10 janvier, change finalement peu de choses : les lignes de fracture entre le gouvernement et les organisations syndicales sont plus importantes que jamais.

D’un côté, les différents ministres, Élisabeth Borne en tête, ont multiplié ces dernières semaines les interventions publiques pour justifier cette réforme comme un impératif budgétaire, tandis que les secondes ont répété à l’envie leur opposition à tout report de l’âge légal de départ à la retraite, finalement prévu à 64 ans à l’horizon 2030.

Dans ces conditions, les appels à la « mobilisation » des salariés se sont faits de plus en plus insistants, de premières journées d’action étant à prévoir dès la semaine du 16 janvier. Qu’attendre du conflit social qui s’annonce ?

Le recul de la grève

Au premier regard, les obstacles au déclenchement de grèves massives semblent importants. Les récentes mobilisations très médiatisées dans les raffineries ou à la SNCF ne doivent pas tromper : depuis les années 1970, la conflictualité gréviste s’est largement effondrée en France, notamment dans ses formes les plus dures et prolongées.

Si cette évolution est parfois attribuée à la frilosité des directions syndicales, elle s’explique aussi, et sans doute avant tout, par une diversité de facteurs socio-économiques : désindustrialisation, éclatement des collectifs de travail, tentatives managériales pour « domestiquer » les conflits du travail, augmentation de la précarité et de l’endettement des ménages, etc.

Au fil des années, le recours à la grève tend ainsi à se recentrer sur un noyau de plus en plus réduit de salariés, dans les services publics ou dans certains secteurs industriels, tandis qu’il se réduit à la portion congrue dans de larges fractions du monde du travail, notamment dans les métiers des services et dans les petites et moyennes entreprises. La dernière grande mobilisation interprofessionnelle de l’hiver 2019-2020, largement portée par les agents des transports publics, l’a bien mis en évidence.

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Les limites de l’implantation syndicale

Ce reflux de la grève est directement lié au recul de l’implantation des organisations syndicales. Même si leur présence ne constitue pas un prérequis, le rôle des syndicats dans le déclenchement et l’organisation des conflits du travail demeure central. Or, les transformations déjà mentionnées du travail et des entreprises, couplées aux réformes du « dialogue social », ont considérablement affaibli leur ancrage au sein du salariat.

Dans tout un ensemble de secteurs, la présence des syndicats est faible voire inexistante, cette situation étant souvent entretenue par des attitudes patronales hostiles à leur implantation. Ces constats sont bien sûr à nuancer : dans les grands établissements industriels par exemple, les syndicats demeurent bel et bien présents et connaissent même des formes de renouvellement de leurs effectifs militants.

Pancarte issue d'une série imaginée par la CGT Cadre UGICT (Ingé Cadres Tech) lors des manifestations du 10 décembre 2020 contre la réforme des retraites.

Pancarte issue d’une série imaginée par la CGT Cadre UGICT (Ingé Cadres Tech) lors des manifestations du 10 décembre 2020 contre la réforme des retraites.
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Mais dans ces entreprises, les délégués syndicaux sont aussi de plus en plus souvent accaparés dans des instances de représentation et des réunions de négociation très techniques et chronophages. Si cette fonction de « professionnel du dialogue social » est loin de faire l’unanimité parmi les syndicalistes d’entreprise, elle a été largement promue par les réformes successives des relations professionnelles depuis deux décennies. Les ordonnances Macron de 2017 incarnent bien cette tendance, dans la mesure où elles ont eu pour effet de concentrer les responsabilités syndicales et de réduire le nombre de représentants du personnel.

Cette situation a contribué à fragiliser les liens quotidiens de ces représentants avec leurs collègues, ouvrant la voie à des mobilisations qui s’affranchissent du cadre…

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Auteur: Pierre Rouxel, Maître de conférences en science politique, Université Rennes 2