Réformes économiques et politiques : sur les traces de Paul Pierre Lemercier de la Rivière (1719-1801)

Au début de la seconde moitié du XVIIIe siècle se constitue la première véritable école de pensée économique autour du docteur François Quesnay (notamment médecin de la marquise de Pompadour) avec, comme membres principaux, Victor Riqueti marquis de Mirabeau (père du futur tribun révolutionnaire), Pierre Samuel Du Pont de Nemours, l’abbé Nicolas Baudeau et Paul Pierre Lemercier de la Rivière.

L’école dite des Économistes ou encore physiocratie milite activement pour la liberté du commerce et des réformes politiques propres à neutraliser l’arbitraire monarchique. Son impact sur les milieux intellectuels et l’opinion publique est fort grâce à activité de ses membres dans les salons et par l’organe de presse qui lui permet de diffuser ses analyses et revendications : les Éphémérides du citoyen, animé, selon les époques, par Baudeau ou par Du Pont de Nemours.

Juriste, administrateur, conseiller et publiciste

Si la majeure partie des membres de ce groupe est strictement constituée de théoriciens ou de vulgarisateurs, Lemercier de la Rivière, juriste de formation, est le seul à bénéficier d’une véritable expérience pratique. Il est successivement intendant des Iles-du-Vent en Polynésie puis de la Martinique, prise en 1962 par la flotte anglaise lors de la guerre de Sept ans (1756-1763). Il collabore et finit ensuite par devenir le seul membre actif du Comité de législation des colonies dans les années 1780.

Parallèlement à ces expériences d’administrateur et d’expert, il mène une carrière de publiciste entre 1765 et 1792. Sa stature intellectuelle est telle qu’il est à l’occasion consulté par des princes (Catherine II au moment où elle prépare son Nakaz et Gustave III de Suède, en 1775, en matière d’instruction publique) ou par des politiques : il est ainsi, en même temps que l’abbé Gabriel Bonnot de Mably et Jean-Jacques Rousseau, consulté par des députés polonais pour préparer un projet de constitution à la veille du premier partage du territoire polonais entre l’Autriche, la Prusse et la Russie. En 1774, le contrôle général lui échappe et Anne Robert Jacques Turgot, un sympathisant des physiocrates, est nommé à ce poste.

La prise de la Martinique en février 1762 par la flotte anglaise, lors de la guerre de Sept Ans.
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Lemercier de la Rivière est d’abord un théoricien économique de haut niveau qui expose et développe la pensée du groupe de Quesnay dont le maître ne diffuse sa pensée qu’à travers des publications courtes et souvent difficiles à relier (des articles pour l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ou encore pour les Éphémérides du citoyen).

Avec Lemercier de la Rivière, les physiocrates disposent d’un publiciste capable d’articuler leurs principales positions dans de longs ouvrages : L’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques (1767), ou encore L’Intérêt général de l’État (1770). Le premier associe analyses et propositions économiques et politiques tandis que le second développe la liaison entre liberté du marché et droit de propriété (dont le physiocrate fait la base de toute la société et du politique). C’est surtout L’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques qui va rendre célèbre Lemercier de la Rivière et susciter l’intérêt de Catherine II et de Gustave III. L’ouvrage est même salué, outre-Manche, par l’économiste Adam Smith, père de la l’économie politique classique.

L’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, 1767.
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Dans le même temps, le livre provoque la polémique et alimente la presse et les salons car l’auteur y développe le volet politique de l’École avec le concept de despotisme légal qui attire les critiques de Rousseau ou encore de Mably. L’expression, en forme d’oxymore, suscite le rejet alors que Lemercier de la Rivière ne recherche qu’à exprimer l’idée qui lui tient à cœur : la loi (naturelle) doit s’imposer à tous, monarque compris, et les magistrats ont pour mission de la traduire dans le droit positif. Le projet de Lemercier de la Rivière n’a donc pas d’autre objectif que de démontrer la nécessité de contrer l’arbitraire royal par l’édification d’un véritable…

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Auteur: Bernard Herencia, Maître de conférences, chercheur en histoire de la pensée économique, Université Gustave Eiffel