Réparer les morts, mémoire et vigilance

Il y a trois, le confinement. Après les premiers morts et une valse indécente de chiffres, après la colère (Je ne vous pardonnerai pas), ce fut le silence. Ce texte se veut mémoire de ce que les mourants et leurs proches ont vécu au nom d’une implacable réglementation. Il porte le vœu d’une réparation, l’espoir d’un apaisement, et surtout une vigilance : que la mort des nôtres ne nous soit plus confisquée.

L’impensable a surgi, ils ont touché à quelque chose sacré, ils nous ont dépossédés de l’ultime et, parce que nous sommes bien trop dociles ou conscients, au nom de l’urgence sanitaire, nous avons accepté.

Pas un mot, pas un geste, ni la pudeur du mouvement qui va de soi à l’autre et fait le lien, même pas de loin à travers un mur de verre. Portes hermétiquement closes sur nos cœurs déboussolés, par la colère, l’angoisse, la peine sidérante. Et l’autre d’amour, chair de nos chairs ou chair de nos liens entremêlés, d’amitié, de voisinage complice, l’autre d’amour il était là, dans la solitude inévitable de la mort. Mais il y avait autre chose : l’absence.

Parce que naturellement nous sommes de ce moment, nous sommes la main, le regard, l’odeur, la vibration, la chaleur vivace qui jusqu’au dernier souffle relie les êtres à tout ce qui fait le monde et consacre le passage là-plus là. Et de cet espace intemporel, l’implacable règlementation nous a privés.

Ce n’est pas qu’une mort, c’est un abandon. Un abandon tout entier, comme mis au ban du don, le don de la mort : être témoin de Celle qui vient confier à l’inconnu ou au mystère l’histoire-transmutation d’une vie. En deçà ou au delà de l’incommensurable épreuve pour nous qui restons, la mort est don pour qui peut la regarder, l’accompagner, même après le dernier souffle, quelques heures, quelques jours encore.

Nos anciens le savaient, ils veillaient les mourants et préparaient les morts comme ils vivifiaient leurs croyances ; les rituels funèbres étaient accomplissement, transformation du réel, alliage subtil de la présence et de la disparition. Ainsi ils réalisaient ensemble l’ultime vie-mort-vide. La mort nous échappe, elle est l’insaisissable qui pourtant fait la vie. Le don de la mort enracine l’acceptation de la perte, non la résignation ; l’acceptation de nos propres vies mortelles à travers l’autre qui va.

Acceptation que cet autre, les yeux fermés, depuis son espace désormais à lui seul, puisse accueillir, recueillir nos pensées, nos sentiments, nos…

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Auteur: dev