Résister sur tous les fronts

Dès 1936, la situation européenne convainc Simone Weil de renoncer à son approche pacifiste et de rejoindre les rangs de la résistance armée sur le front antifasciste espagnol. Pour autant, son engagement n’exclut pas une pensée globale des systèmes d’oppression, et des systèmes d’oppression coloniale en particulier. À une époque où la situation nord-africaine met en crise l’empire français, et alors que des appels seront lancés aux « membres palpitants de la patrie » en vue de rejoindre les rangs de la lutte contre l’envahisseur nazi, elle rappelle ainsi avec force ce qu’il en est de la condition coloniale :

Palpitants, oui. Sous la faim, les coups, les menaces, les peines d’emprisonnement ou de déportation ; devant l’aspect redoutable des mitrailleuses ou des avions de bombardements. Une population domptée, désarmée serait palpitante à moins.

La singularité de la position de Weil tient toute entière dans cette obstination : alors que l’Europe vit sous la menace d’une guerre destructrice, il s’agit d’armer la résistance au fascisme tout en refusant d’invisibiliser les fondements de la domination impérialiste de nations qui auront légitimement à se défendre et à vaincre.

Il ne s’agit pas d’un jeu d’équilibriste, mais bien d’une obstination à penser le destin de l’Occident en articulant la nécessité de son salut à une critique radicale de ses dynamiques expansionnistes. Ne jamais renier, ainsi, au nom de l’unité de combat, les principes qui fondent la nécessité de son engagement : la résistance au fascisme de Franco ou d’Hitler ne peut en aucun cas justifier le caractère indissociablement colonial et capitaliste de l’empire français et de ses alliés.

En temps de guerre, la propagande jouit toujours d’une dignité nouvelle. Autrement dit, la situation justifie l’impensé et mortifie l’attention portée aux causes de l’oppression pour en cristalliser les effets. C’est ainsi que les injonctions au devoir de résistance peuvent tendre à invisibiliser ce à quoi nous nous sommes évertués à donner patiemment forme durant tant d’années : une exhibition des racines coloniales de la domination capitaliste.

À ce sujet, les épistémés se débattent dans les sous-sols viciés de l’histoire. C’est ainsi que les débats internes à la tradition marxiste n’ont cessé de s’écharper sur la question coloniale : l’impérialisme est-il une extension naturelle du capitalisme national ou son fondement ? Doit-on penser la domination…

La suite est à lire sur: lundi.am
Auteur: dev