Retraites : comment la réforme incarne le bras de fer entre le pouvoir et la rue

La réforme des retraites est l’un des enjeux majeurs du second quinquennat d’Emmanuel Macron, qui aspire à être le président qui réglera un dossier ouvert dès le début des années 1990. Lors de la campagne présidentielle de 2022, il s’était d’ailleurs engagé à faire aboutir une réforme dont il avait dû reporter l’adoption début 2020, sous la double pression de la rue et de la crise Covid.

Il s’engage ainsi dans un bras de fer avec les organisations syndicales, dont la mobilisation commence le jeudi 19 janvier 2023 par un appel intersyndical à la manifestation et à la grève.

Si le souvenir du mouvement de novembre-décembre 1995 contre le « plan Juppé » est dans tous les esprits, le contexte politique et social a radicalement changé et contribue à modifier le rapport de forces entre le pouvoir et la rue.

Les grandes manifestations de 1995 constituent un tournant dans l’histoire des mobilisations sociales en France. Jusqu’alors, les grands mouvements sociaux visaient à obtenir des acquis sociaux, comme en mai-juin 1936, voire à défendre l’utopie d’une nouvelle société, comme en mai 1968.

À partir des années 1970, la crise économique, l’attention portée par les gouvernements successifs à la question sociale, la montée de l’individualisme, le déclin du communiste et la dilution de l’identité ouvrière affaiblissent les mouvements revendicatifs.



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La jeunesse aux avant-poste de la contestation

Les organisations syndicales adoptent alors une position plus défensive. De fait, c’est plutôt la jeunesse lycéenne et étudiante qui est promue aux avant-poste de la contestation, en 1973 contre la loi Debré), en 1986 contre la loi Devaquet réformant l’Université ou encore en 1994 contre le Contrat d’insertion professionnelle proposé par le gouvernement d’Edouard Balladur et présenté comme un « smic jeunes ». À chaque fois, le pouvoir est contraint d’abandonner son projet de réforme.

Le même Edouard Balladur avait fait adopter une première réforme des retraites, en juillet 1993, sans susciter de contestation frontale. Il avait, il est vrai, pris de multiples précautions : la réforme a été présentée dans la foulée de la très large victoire de la droite aux législatives de 1993, en plein milieu de l’été ; elle s’appuyait sur les recommandations du Livre blanc sur les retraites qui, publié deux ans plus tôt, a suscité une première prise de conscience collective de la nécessité d’une réforme) ; elle concernait les seuls salariés du secteur privé.

Deux ans plus tard, le Premier ministre Alain Juppé adopte une tout autre méthode pour présenter sa réforme, qui étend aux salariés du secteur public les dispositions de la loi de 1993. Comme son prédécesseur, il pensait sans doute profiter de l’état de grâce dont bénéficie traditionnellement un gouvernement en début de mandat, après l’élection présidentielle gagnée en mai 1995 par Jacques Chirac.

Cortège étudiant durant les grandes manifestations de décembre 1995 contre le plan Juppé, ici à Marseille

Cortège étudiant durant les grandes manifestations de décembre 1995 contre le plan Juppé, ici à Marseille.
Philppe Desmazesa/AFP

Mais cette réforme semble en décalage par rapport à la campagne du candidat Chirac, centrée sur la « fracture sociale ». L’annonce du plan Juppé confirme ainsi, aux yeux de l’opinion, un changement de discours opéré dès la fin de l’été 1995 : la priorité est désormais à la réduction des déficits publics.

Front commun à gauche

À la réforme des retraites s’ajoutent à l’époque une réforme de l’assurance maladie, le blocage du montant de certaines prestations sociales et l’annonce d’un plan de rigueur à la SNCF. Cette accumulation sonne comme une provocation pour les organisations syndicales, mais aussi pour une majorité de l’opinion publique qui soutient la contestation. Un mouvement de grève touche l’ensemble du secteur public – notamment le transport –, scandé par six grandes journées nationales de mobilisation dont la dernière, le 12 décembre, regroupe près de 2 millions de personnes selon les syndicats.

Jamais, depuis mai 68, un mouvement social n’avait mobilisé autant de salariés sur une durée aussi longue : un…

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Auteur: Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)