Aurélie Piau
Aurélie Piau « Dans un monde plein de panache, le port de la passoire est obligatoire », 2011

Retraites la réforme de trop

Pas de retraite au-dessous de 1 000 euros
La déclaration a fait de l’effet : le premier ministre Édouard Philippe a promis de porter la pension minimale à 85 % du smic à partir de 2022. En fait, la mesure figure dans la loi… de 2003. Le gouvernement ne fait donc qu’appliquer (enfin) les textes votés par le Parlement. Et encore : il faudrait porter cette pension de base à 1 023 euros dès maintenant si on voulait rattraper le retard. Non seulement il n’y aura aucun effet rétroactif, mais cette augmentation ne concernera que les nouveaux retraités, qui devront avoir quarante-deux années de cotisations pour y prétendre. Enfin, l’allocation de solidarité aux personnes âgées (le « minimum vieillesse »), pour les personnes ayant peu ou pas cotisé, atteint seulement 903 euros au 1er janvier 2020.

« Clause du grand-père »
La réforme est si bénéfique pour la population que le gouvernement a retardé le basculement total du système dans le régime unique à points à… 2037 : c’est la « clause du grand-père », qui fait cohabiter dans une même entreprise des salariés effectuant des tâches similaires, mais avec des droits amoindris pour les plus jeunes. De quoi alimenter la guerre des générations. Le système actuel est conservé pour les personnes nées avant 1975 (mais avec un recul de l’âge de départ), et non avant 1963 comme le voulait M. Jean-Paul Delevoye. Les personnes nées après 1975 et qui travaillent déjà verront leurs droits actuels convertis en points, selon des modalités qu’on ignore encore. Enfin, ceux qui commenceront à travailler en 2022 subiront la réforme de plein fouet : ils travailleront plus longtemps et auront moins de droits.

Femmes et mères
« Les femmes seront les grandes gagnantes », assure le premier ministre. En fait, les mères y perdront… mais un peu moins. Elles bénéficieront d’une augmentation de leur pension de 5 % pour chaque enfant, avec une prime de 2 % pour le troisième et les suivants. Soit 17 % pour trois enfants, applicables au choix à l’homme ou à la femme… contre 10 % à la mère et au père (soit 20 % à deux) actuellement. En outre, les hommes étant en général mieux payés, le plus probable est que les couples choisiront d’appliquer l’augmentation au salaire du père, pénalisant les mères.

Avant la réforme, un enfant permettait de valider huit trimestres pour les femmes travaillant dans le privé, et quatre (parfois deux) dans la fonction publique — un avantage non négligeable pour les salariées n’ayant pas une carrière complète (quarante-deux ans de cotisation). Cela ne sera plus le cas. Les mères auront le choix : travailler plus longtemps ou voir leur retraite baisser. La régression est d’autant plus forte que le montant de la pension sera calculé sur l’ensemble de la carrière (et non plus sur les vingt-cinq meilleures années). Les pensions des femmes sont déjà en moyenne inférieures de 42 % à celles des hommes, selon les données du ministère des affaires sociales, alors que les différences de salaire atteignent 23 %.

Pénibilité
Le premier ministre promet de tenir compte de la pénibilité du travail en permettant à ceux qui en sont victimes de « partir deux ans plus tôt à la retraite » ou de travailler à mi-temps pendant trois ans avant la date de départ. Les aides-soignants et les infirmiers seraient concernés.

Certes mais, comme l’âge de départ à la retraite avec une pension complète est reculé de deux ans… ce qui est acquis d’un côté est repris de l’autre. Il faut rappeler que le décret d’octobre 2014, qui instaurait un compte pénibilité fondé sur dix critères, a été remis en cause par les ordonnances Macron de 2017, qui en ont évacué quatre. Un ouvrier maniant le marteau-piqueur à longueur de journée n’en bénéficie pas.

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