Rêve et Histoire [I]

Le rêve n’est-il qu’un résidu de l’histoire, cette part secrète de soi réservée aux cabinets des psychanalystes, aux conversations du matin ou aux poètes ? En l’inscrivant dans une histoire de la subjectivité, on découvre qu’il peut aussi se révéler un témoignage singulier sur la façon dont les événements politiques s’emparent des individus pour y laisser leur empreinte. Entre soumission et résistance, adhésion et révolte, l’activité onirique devient une scène où le plus intime rejoint et éclaire le social et l’historique.

Le rêve comme expérience

Dans L’interprétation des rêves (Die Traumdeutung), publié en 1900, Freud a donné au rêve un statut théorique bien connu : après complète interprétation, tout rêve se révèle comme l’accomplissement d’un désir. Définition accompagnée d’une autre : le rêve est la voie royale de l’inconscient. Ces formules ont sans aucun doute transformé le rapport que tout un chacun entretient avec les rêves, les siens comme ceux des autres : ils sont perçus comme une énigme à déchiffrer, une langue à traduire, au-delà de leur simple apparence de « fantaisies immatérielles, insaisissables » que l’on peut prendre plaisir à raconter. Avec la psychanalyse le rêve a perdu sa dimension prophétique ou divinatoire ; il n’est plus cette création d’un monde plus essentiel, plus exaltant et plus mystérieux que celui du jour que les romantiques et les surréalistes ont voulu y reconnaître, qui faisait dire à Nerval, au début d’Aurélia : « Le Rêve est une seconde vie », grâce auquel « le monde des Esprits s’ouvre pour nous ». Il se résume au surgissement d’une vérité cachée que le sujet reçoit depuis un lieu énigmatique mais qui lui appartient en propre, et qui le définit comme cet individu unique seul capable de dire : « J’ai fait ce rêve ». « Les rêves sont absolument égoïstes » affirme Freud ; et dans un article où il présente les différents aspects de ce qu’il appelle la clôture du rêve, André Green écrit : « le rêve est un espace de résurrection des désirs infantiles. Fermé au monde extérieur et au présent, il est ouvert sur le monde intérieur et le passé. Le rêve opère une transformation telle que le monde intérieur prend la place du monde extérieur et le passé celle du présent ». Si le rêve se fonde bien sur cette exclusion radicale de l’extérieur et du présent, il semble n’être plus que le lieu de manifestation d’une vérité strictement…

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Auteur: lundi-matin