Rêve et Histoire (II)

Le rêve n’est-il qu’un résidu de l’histoire, cette part secrète de soi réservée aux cabinets des psychanalystes, aux conversations du matin ou aux poètes ? En l’inscrivant dans une histoire de la subjectivité, on découvre qu’il peut aussi se révéler un témoignage singulier sur la façon dont les événements politiques s’emparent des individus pour y laisser leur empreinte. Entre soumission et résistance, adhésion et révolte, l’activité onirique devient une scène où le plus intime rejoint et éclaire le social et l’historique. La première partie de ce texte est disponible ici.

Les rêves concentrationnaires

« Les camps de concentration se sont révélés autant dans les jours du prisonnier que dans ses nuits » : en plaçant l’article qu’il consacre aux rêves des détenus, en 1948, sous le signe d’une attention nécessaire à la face nocturne de l’expérience des camps, Jean Cayrol (déporté politique en 1943 au camp de Mauthausen) annonce la nouveauté de son propos. Comment, en effet, s’attarder sur les nuits du déporté ? Peuvent-elles être autre chose que cette concession des bourreaux qu’évoque Robert Antelme dans L’Espèce humaine  : « Nous avons droit au sommeil. Les SS l’acceptent, c’est-à-dire que pendant quelques heures, ils consentent à ne plus être nos SS. S’ils veulent encore avoir demain de la matière à SS, il faut que nous dormions » ? L’alternance du jour et de la nuit, de la veille et du sommeil, ce rythme fondamental de toute vie humaine s’impose à tous, gardiens et détenus. Même si, comme le souligne Wolfgang Sofsky, le pouvoir absolu refuse d’être soumis au temps, même s’il n’était jamais exclu « que quelques SS ivres aient au beau milieu de la nuit l’idée de faire courir tout le monde pieds nus dans la neige ou dans la boue », la nuit et le sommeil restent dans les camps un répit, une suspension provisoire de l’exercice de la terreur. 

Mais si le pouvoir absolu doit « pactiser » avec la nuit, s’il ne peut empêcher les détenus de dormir, il reste maître des conditions du sommeil. En réduisant à l’extrême l’espace alloué à celui-ci, il se donne les moyens d’affirmer encore sa toute puissance ; il veut détruire le sommeil comme abri. Disposer d’un lit individuel était un privilège réservé aux kapos ; la grande masse des détenus, dans les blocs des principaux camps, dormait le plus souvent à deux sur une couchette de 80 centimètres de large. Primo Levi a décrit les tourments d’une telle…

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Auteur: dev