Réveil écologique des grandes écoles : ce que nous ont appris les discours de jeunes diplômés

Pointant des formations « biaisées », lançant des appels à « déserter », exprimant des sentiments d’« éco-anxiété » et des critiques du « greenwashing », différentes prises de parole lors de cérémonies de remise de diplômes dans les grandes écoles ont marqué les esprits en 2022. Le discours des huit « déserteurs » d’AgroParisTech avait ouvert le bal le 30 avril 2022.

Plusieurs allocutions ont suivi, dont celles d’Anne-Fleur Goll et de Camille Fournier à HEC en juin 2022, d’un collectif à l’ENSAT et de plusieurs promotions de Polytechnique le même mois, ou encore d’un collectif à Mines Paris et d’Albane Crespel à l’ESSEC.



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Derrière des formats similaires, ces discours se situent-ils vraiment tous dans la même lignée ou font-ils émerger des positionnements différents ? Les replacer dans une chronologie permet d’en faire ressortir les logiques et de cerner ce qui a fait école et ce qui divise.

Des plaidoyers personnalisés

Les discours sont tous très personnels et font apparaître explicitement les émotions et états d’esprit des orateurs, que ceux-ci soient positifs (enthousiasme, passion, fierté, détermination) ou négatifs (peur, éco-anxiété, malaise, tristesse). Plusieurs mots reviennent souvent, comme les « doutes » et l’« anxiété » des étudiants, tout comme leurs « engagements » et « responsabilités ».

Les discours pointent tous une entité macroscopique – le « système », le « monde » – et estiment qu’il faut la « changer » et la « transformer ». Les problèmes identifiés sont globalement les mêmes : changement climatique, perte de la biodiversité, inégalités sociales, pollution. Pris dans leur ensemble, ces discours affichent le même style : ce sont des plaidoyers personnalisés, émotionnels, critiques et réflexifs sur l’état du monde qui proposent certaines pistes pour le transformer.

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Il faut saisir ces discours dans leur historicité, car deux d’entre eux ont fait date et contribué à impulser une dynamique. Tout d’abord, il y a celui de Clément Choisne à Centrale Nantes, en novembre 2018, qui critique l’obsolescence programmée et la surconsommation, tout en appelant à plus de sobriété et d’éthique. Ce discours a inspiré de nombreux élèves en instituant un nouveau genre de prise de parole.

Ensuite, les déserteurs d’AgroParisTech ont largement contribué à populariser ce type de prise de parole, tout en instaurant une certaine grammaire : les mots « déserter » et « bifurquer » sont dorénavant des points de passage quasiment obligés de ce type de prise de parole.

Des propositions différentes

On peut différencier trois degrés de critique. Il y a des discours qui font des critiques fortes (ceux prononcés à Centrale Nantes, AgroParisTech, l’ENSAT, Polytechnique et à l’ESSEC). L’accusation y est radicale et sans réserve : l’industrie, le capitalisme, l’école et la formation des élèves sont directement et conjointement critiqués. Les déserteurs d’AgroParisTech, par exemple, critiquent à la fois leur formation, l’agro-industrie, le capitalisme, les start-up et des termes comme transition, en parlant de « ravage » et de « jobs destructeurs ».

D’autres discours sont plus nuancés dans la critique, comme ceux prononcés à HEC, dans lesquels le « système » est pointé du doigt, alors que l’industrie et la formation ne sont que peu critiquées. Enfin, le discours de Mines Paris est relativement positif. Malgré certaines remarques critiques (« le solutionnisme technique ne suffira pas »), il est largement axé sur l’engagement.

Discours d’Anne-Fleur Goll (HEC Graduation, 2022).

Les solutions proposées sont, elles aussi, différentes. D’un côté, il y a des discours qui estiment qu’il faut sortir du système : qu’il faut s’en « écarter » (Centrale Nantes), « bifurquer » (AgroParisTech, ENSAT), « boycotter » (ENSAT), « miner les lobbys et entreprises, stopper l’agro-industrie »…

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Auteur: Morgan Meyer, Directeur de recherche CNRS, sociologue, Mines Paris