Rosa Bonheur au pays de la tautologie — Rosa LLORENS

Pourquoi s’intéresser à une exposition artistique ? Tous les arts sont devenus depuis des décennies de simples véhicules de l’idéologie hégémonique. Or, les productions culturelles modèlent notre imaginaire qui, à son tour, nous prépare à accepter comme une évidence la narrative politique et économique. Une autre fonction, qui lui est liée, des activités culturelles actuelles est de porter au pinacle tout ce qui est médiocre, ce qui nous empêche de reconnaître les vrais créateurs ; en effet, les artistes médiocres, ne pouvant se faire valoir par leur propre vision, s’appliquent à illustrer les clichés en vogue, tandis que les vrais créateurs risqueraient de nous ouvrir des horizons nouveaux. Et il ne faut pas oublier le révisionnisme actuel, qui met parfois en valeur les œuvres les plus réactionnaires.

L’exposition Rosa Bonheur est une vraie caricature de cet état de la « culture » : les autorités culturelles martèlent l’affirmation qu’elle est « un artiste majeur du XIXe siècle » (Connaissance des Arts), une artiste « hors norme, novatrice et inspirante » (Musée d’Orsay). Mais ses thuriféraires se heurtent à une (au moins !) difficulté, une contradiction interne à l’idéologie actuelle : R.B. a été toute sa vie une artiste comblée d’honneurs ; or, il est admis qu’un artiste « majeur » doit être rebelle, subversif, casser les codes, déranger. Mais qui peut être dérangé par les lapins et les vaches de R.B. ? Alors, on retourne cet obstacle en atout, et on célèbre R.B. comme « l’artiste femme la plus récompensée et décorée du XIXe siècle » (Musée du Château de Fontainebleau) : pour effacer le ridicule des décorations, il suffit de les associer à un record, comme, pour inverser la valeur des décorations, il suffit de les associer à l’idée de femme.

Car les encenseurs dithyrambiques de R.B. ont bien sûr un autre argument : c’est une femme ! Elle est donc d’actualité (peu importe que sa peinture soit dépassée) en tant que représentante de la cause des femmes : un site Internet « dédié » (comme on dit dans le jargon d’aujourd’hui) sera lancé le 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Curieusement, l’aspect homosexualité (elle a vécu presque toute sa vie avec une amie, jusqu’à la mort de celle-ci), n’apparaît que très discrètement : on préfère faire d’elle une « vestale de l’art », qui ne s’est jamais mariée pour se consacrer en toute liberté à son œuvre. De plus, en tant que peintre…

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Auteur: Rosa LLORENS Le grand soir