Russie : pourquoi la Cour européenne des droits de l’homme examine encore les requêtes contre Moscou

Créé à la suite de la Seconde Guerre mondiale pour assurer la prééminence du droit et la consolidation de la paix, le Conseil de l’Europe ne pouvait que souligner la contradiction avec ses valeurs et principes qu’a représenté le recours à la force de l’un de ses membres à l’encontre d’un autre (l’Ukraine a rejoint l’organisation en 1995, la Russie en 1996). C’est ainsi sans surprise que l’exclusion de la Russie fut prononcée avec effet immédiat le 16 mars dernier.

Plus de huit mois plus tard, il est possible de tirer un premier bilan des effets que cette décision a eus sur les multiples requêtes déposées contre la Russie – mais aussi par elle – auprès de la figure la mieux connue de cette organisation régionale, à savoir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

La CEDH sollicitée par les deux parties

Depuis 2014, la CEDH se trouve au cœur d’une bataille judiciaire entre les deux États. Elle a été saisie de huit requêtes interétatiques de l’Ukraine contre la Russie, mais aussi d’une requête initiée par la Russie contre l’Ukraine. Ce type de requête, marginal dans l’activité de la Cour, s’est considérablement développé depuis le début du XXIe siècle, mais c’est dans le contexte des relations russo-ukrainiennes que les développements, au moins quantitatifs, ont été les plus significatifs.

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Outre ces requêtes interétatiques, des milliers de requêtes individuelles ont été adressées à la Cour en relation avec les tensions et le conflit russo-ukrainiens. Ainsi, aujourd’hui, la Fédération de Russie (17 500 requêtes) et l’Ukraine (10 950 requêtes) sont les deuxième et troisième États les plus ciblés par des requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Le greffe de la CEDH indiquait en juin 2022 qu’environ 8500 requêtes individuelles introduites devant la Cour sont liées aux événements survenus en Crimée, dans l’est de l’Ukraine et dans la mer d’Azov. Une part importante de ces requêtes individuelles concerne le sort des prisonniers de guerre ukrainiens ou la destruction de biens immobiliers sur le territoire ukrainien par les forces russes ou leurs supplétifs. Les auteurs de ces requêtes visent à obtenir la cessation de la violation de leurs droits et/ou une réparation financière du préjudice subi.

Pourquoi la CEDH ne se désintéresse pas de la Russie malgré son exclusion du Conseil de l’Europe

Les droits de la Fédération de Russie avaient été suspendus par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en 2000 (guerre en Tchétchénie) et 2014 (annexion de la Crimée) avant d’être, chaque fois, restaurés.

Le 16 mars 2022, à l’issue d’une procédure inédite, le Comité des ministres procédait à l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe suite au lancement de l’offensive en Ukraine de février 2022. Aussi rapide qu’inéluctable, l’aboutissement de la procédure d’exclusion marque un changement de paradigme et ferme un canal de discussion majeur. Avec la perte du statut d’État membre du Conseil de l’Europe, les droits et obligations découlant du Statut cessent de s’appliquer à cet État. La participation à la Convention européenne des droits de l’homme étant réservée aux États membres du Conseil de l’Europe, la Russie cesse d’être liée par la Convention. Il ne sera donc plus possible d’invoquer le bénéfice de cette Convention devant les juridictions russes. Dans un tel contexte, on peut s’interroger sur le sort des milliers de requêtes déposées contre la Russie devant la CEDH.



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La Convention européenne des droits de l’homme est muette sur le caractère spécifique de l’hypothèse de la cessation de la participation d’un pays à la Convention du fait d’une exclusion du Conseil de l’Europe, mais les divers organes du Conseil de l’Europe estiment que l’on peut, par analogie, considérer que le régime applicable en cas de dénonciation volontaire de la Convention est pertinent.

L’État qui se retire n’est pas automatiquement libéré de ses obligations au titre de la Convention. Un délai de…

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Auteur: Julien Cazala, Professor of International Law, Université Sorbonne Paris Nord