Saint-Patron

« Saint Syméon le Stylite », 1807 (anonyme).

Ce texte a été écrit en janvier 2021, pour un livre collectif : Le nouveau monde. Tableau de la France néolibérale, à paraître en août 2021 aux Éditions Amsterdam.

Il m’a été inspiré par la personnalité, disons, très particulière, d’Emmanuel Faber, PDG de Danone. Qui pense pouvoir nous sauver des méfaits du capitalisme par l’action vertueuse (en l’occurrence de forte inspiration chrétienne). Sous une forme à la fois très spéciale et typique, son discours se rattache à tous les discours entendus depuis deux décennies sur la « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) et l’autorégulation du capital par la vertu.

Deux mois après l’écriture, l’actualité vérifie ce que la dynamique du texte avait déplié comme fatal (structurellement — à tous points de vue : psychiques et économiques).

« Contrebande », Amsterdam et moi-même, nous saisissons cette occasion d’attester que la littérature peut être en prise avec les questions politiques et économiques en temps réel en tant que telle.

I.

1.

Vous n’en avez pas l’habitude, mais on peut être PDG et avoir des idées.

Ainsi, moi. J’ai une idée.

Je n’en ai qu’une seule, gage d’une meilleure tenue. Elle tient tout ensemble : le capitalisme avec la justice sociale, les dividendes maximisés avec l’égalité de tous, moi avec moi.

Je reste simple et concentré.

Le monoidéisme garantit l’efficacité et la cohésion. C’est une manière éprouvée d’avancer dans sa trajectoire personnelle.

Mon chemin de conscience (à moi) a eu deux moments : un exil d’avec moi, un patient retour vers moi. Il m’a permis de forger un concept unique, maniable et opérant : la cuculerie bien tempérée.

2.

Racine cucul, redondance tempérante : vous avez bien lu. Vous n’y pensiez plus, mais présenter le stigmate est une bonne pratique multiséculaire. Elle vient de loin, elle vient de Lui — avec qui je partage mon prénom. On ne s’appelle pas Emmanuel par hasard.

Moi, Emmanuel, j’ai une vision : par elle nous resterons capitalistes pour les siècles des siècles.

Ça va faire quarante ans que le Dogme nous dit : l’entreprise n’a pas de croix à porter. Le Bien ne la concerne pas — elle n’a qu’une vocation : être à ses actionnaires. Quarante ans que le Dogme répète : être capitaliste, désormais, c’est être encuculeur sans restriction.

Comme les autres, j’ai commencé requin en banque d’affaires.

J’avais vingt ans, j’en…

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Auteur: Sandra Lucbert