Saint-Valentin : pourquoi quelques mots valent mieux qu’une rose rouge

17h50, la nuit est tombée déjà. Vous marchez d’un pas pressé, lisant sur votre téléphone le dernier mail du collègue qui vient d’arriver, vite répondre mais arriver à l’école avant que les portes ne ferment, sans quoi vous friserez le « parent défectueux » . Le nez sur votre écran, vous remarquez quand même une file d’attente insensée d’hommes devant la vitrine du fleuriste . Bigre! C’est la Saint-Valentin.

Pas de panique.

Il suffit peut-être de quelques minutes et de quelques mots, pour, ce soir, lui faire de nouveau (res)sentir votre amour. Le langage ne sert pas seulement à échanger des informations (c’est bon, je serai à l’heure à la sortie de l’école). Sa fonction n’est pas que fonctionnelle, ou référentielle (décrire le monde qui nous est extérieur). Elle est aussi expressive. Les mots seuls donnent accès à nos vies intimes, donnent vie à nos sentiments. Encore mieux qu’avec une rose rouge, parole de linguiste!

De loup à loulou, chouchou doudou et minou

Voilà 10 ans, 20 ans que vous vivez avec chouchou, doudou ou minou. Vous vous adressez l’un à l’autre comme vous vous adressez à vos enfants. C’est l’autre familier, adorable et vulnérable, qui ne vous la fait plus, que retrouvez avec satisfaction le soir non loin de vos chaussons.

L’autre n’est plus son soi autre, celui que vous rencontrâtes un soir d’été, sur cette plage de Picardie, alors qu’un vent de folie douce secouait vos cheveux, que votre corps embrasé fondait de désir, que vous croquiez à pleines dents le maquereau tout juste péché, encore frétillant d’eau de mer. Alors son prénom, fut-il Georges ou Simone, mettait le feu à votre imaginaire, alors vous traciez de la pointe de votre doigt de pied nu dans le sable mouillé un G comme J’ai envie de toi ou un S comme serre-moi dans tes bras.

Au début d’une romance, le nom propre de l’autre est une porte ouverte sur un monde imaginaire. Comme tous les noms propres, il ne décrit aucunement le référent qu’il désigne, son sens est purement, dans les termes de Kleiber, dénominatif ; libre à nous de fantasmer à son propos.

Mais le temps passe, c’est ce qu’il fait. L’être de vos rêves est devenu objet de connaissance conjugale. Or, « la connaissance conjugale qu’on a des gens […] c’est peut‐être la pire de toutes » (Marguerite Duras, Les petits chevaux de Tarquinia). Si son prénom franchit vos lèvres aujourd’hui, c’est quand elles se pincent : enfin, George ou Simone, combien de fois je t’ai dit de ne pas prendre cette marque de maquereaux, les enfants n’aiment pas.

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Le reste du temps, vous baignez dans le bain tiède et mousseux de l’amour-doudou, et vos mots portent l’empreinte de cette pulsion de re-baptême propre à l’amour : « Appelle-moi amour, et je me rebaptise ! », crie Roméo à Juliette dans la pièce de Shakespeare (acte 2, scène 1).

Votre langage commun est un code qui décline toutes les marques d’une expressivité ronronnante, douce et tendre ; redoublement de syllabe, doudou, loulou, bibiche, tel Louis de Funès gagatisant auprès de Claude Gensac dans la série des Gendarmes ; suffixes mignons, chérinette/chérinou : autant de mots-caresses dits « hypocoristiques » en linguistique, qui prolifèrent dans nos vocatifs.

Tous ces petits noms crient notre besoin de réassurance, notre pulsion d’appropriation de l’être aimé. Ce que Barthes nomme, dans ses Fragments d’un discours amoureux, « vouloir saisir ».

Les métaphores animalières sont un autre exemple de transfiguration caressante et réductrice. Dans votre appartement défilent toutes sortes d’animaux de petite taille et à poils doux, chat lapin souris ou belette, parfois on ne sait pas qui parle à qui et de quoi ou de qui il s’agit. De la peluche, de l’enfant, du chat qui ne se nourrit pas que d’amour mais aussi de croquettes. De l’adulte que vous êtes pourtant. Que vous fûtes. Qui sut, autrefois, être cet être de braise, désirant comme un fou, comme un loup à la gueule pleine de salive. Avant qu’il ne devienne loulou.

Et si ce soir, vous faisiez exception ?

Et si ce soir, vous…

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Auteur: Julie Neveux, Maîtresse de Conférences en linguistique, Sorbonne Université