Le hasard des sorties de film m’a fait voir, le même week-end, deux films très différents, mais tous deux centrés sur un personnage d’homme sans-papiers, venu d’Afrique, travaillant et survivant tant bien que mal dans les rues d’une grande métropole occidentale.
S’il est une chose que le film de Boris Lojkine, L’histoire de Souleymane, sorti cette année, fait voler en éclat, c’est notre vision ordinaire de l’espace public parisien, souvent qualifié, dans la novlangue municipale, d’« apaisé ». Souleymane, le personnage principal, fait partie de ces centaines de livreurs qui filent à grande vitesse sur leur vélo, à toute heure de la journée, d’un restaurant à l’autre, d’un office space au sixième étage sans ascenseur d’un immeuble haussmanien. Ce sont des hommes, tous Noirs, et pour beaucoup sans-papiers.
Comme Souleymane, ils « louent » un compte à un titulaire officiel, à qui ils reversent une partie des maigres sommes tirées de courses ininterrompues. Toute la force du réalisateur est de nous faire traverser avec eux, zigzaguant entre voitures et autobus, des rues faites pour consommer, flâner, ou pédaler de façon « durable ».
Jadis peuplées d’une foule de travailleurs et de travailleuses, les rues de Paris qu’aiment parcourir touristes et habitants – de plus en plus fortunés – sont aujourd’hui le lieu de travail d’une population bien spécifique, l’une des plus exploitées de ce pays quoique largement invisible.
Comme L’histoire de Souleymane, Prince of Broadway, réalisé en 2008 par Sean Baker, donne corps à ces invisibles, habituellement réduits par l’exploitation économique à leur seule force de travail, mais incarnés ici par des individus qui rigolent et souffrent, se blessent et aiment – ou encore, dans les moments les plus désespérés, se mettent à pleurer.
Lucky, illegal lui aussi, est vendeur de rue, (hustler), alpaguant et baratinant…
Auteur: Sylvie Tissot